Burundi : Général Ndayishimiye proclamé vainqueur, Rwasa va-t-il « se coucher » ?
Politique

La Libre Belgique, 25 mai 2020

Burundi : la victoire du candidat officiel annoncée sur fond de fraudes. Le CNL avalera-t-il la couleuvre?

Comme on s’y attendait, les autorités burundaises ont annoncé la victoire du parti au pouvoir depuis 2005, le CNDD-FDD, et de son candidat à la Présidence, le général major Evariste Ndayishimiye, alors que certains diplomates, la société civile et le parti rival , le CNL d’Agathon Rwasa, dénoncent des fraudes massives. Les résultats définitifs seront proclamés le 4 juin.

Selon les résultats officiels, l’officier aurait gagné la présidentielle avec 68,72%, contre 24,19 à son principal rival, Agathon Rwasa; il n’y aura donc pas besoin de second tour.

Le CNL a dénoncé des fraudes. On note ainsi qu’Agathon Rwasa n’obtiendrait que 24,6% des voix à Kabezi (Bujumbura-rural), un des fiefs du parti, dont les meetings ont drainé des foules impressionnates durant la campagne, malgré les violences de la milice du parti officiel, les Imbonerakure, alors que les meetings du candidat CNDD-FDD attiraient de moins en moins de public. L’opposition a aussi souligné le cas de Musigati (province de Bubanza), où le candidat du parti au pouvoir, le général-major Evariste Ndayishimiye, obtiendrait 99,9% des voix.

Le CNL a publié ses propres résultats, qui lui donnent 58,98% à la présidentielle ; 57,08% aux législatives et 57,58% aux communales.

Très nombreuses irrégularités

Ces résultats provisoires sont proclamés alors que des ONG et l’opposition ont dénoncé, avant et durant la campagne électorale déjà de nombreuses irrégularités: le fichier électoral n’avait pas été rendu public, ce qui avait empêché les citoyens de vérifier qu’ils étaient bien inscrits; les observateurs étrangers ont été largement écartés; la campagne électorale s’est faite dans un climat de violence et d’intimidation de l’opposition. Des candidats CNL ont été écartés arbitrairement des listes, assure ce parti, comme la ministre de la Culture et des Sports, Pelate Nyonkuru, sous l’accusation d’avoir fait de la prison, ce qui est faux selon son parti.

Le jour des élections présidentielle, législatives et communales, le 20 mai, les réseaux sociaux ont été coupés; il était interdit de prendre des photos dans les bureaux de vote; selon le CNL, on a fait voter des morts, des mineurs d’âge et des personnes en exil; certains ont reçu « jusqu’à 50 procurations » et des cartes d’électeurs que l’administration avait refusé de donner à des personnes connues comme pro-CNL ont été distribuées à d’autres; des partisans du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, ou des membres de l’administration ont à certains endroits pénétré de force dans les isoloirs pour vérifier que les électeurs ainsi violentés votaient pour le « bon » candidat; les mandataires de l’opposition – en particulier CNL – se sont vu confisquer leur accréditation pour pénétrer dans les bureaux de vote ou en ont été empêchés malgré leur accréditation.

Dans une interview à Iwacu – dernier grand média indépendant du pays, les autres ayant été détruits – Agathon Rwasa ajoute que des mandataires d’opposition ont dû signer des PV vierges et qu’il y a eu « bourrage d’urnes » ; il cite le cas de Giteranyi (province de Muyinga), où 100.000 voix ont été comptées alors qu’il n’y a, selon lui, que 65.000 électeurs. Ceux qui ont tenté de dénoncer les abus, indique le chef du CNL, ont été emprisonnés, comme Pascal Nahayo, officier de l’armée en poste à Mutumba (prov. de Bujumbura)

Morts, disparus, blessés et arrêtés

Dans un communiqué officiel, le CNL a dénoncé l’arrestation de « plus de 300 » de ses militants, « dont 200 » pour la seule journée des scrutins, essentiellement des mandataires et des responsables. Depuis le début de la campagne, ce parti déplore aussi, indique-t-il, trois tués, une cinquantaine de blessés et une dizaine de membres « enlevés et portés disparus ».

Ajoutant à la suspicion, le président de la Commission électorale nationale indépendante – dénoncée comme partisane – Pierre-Claver Kazihise a annoncé samedi qu’il n’avait pas encore tous les PV de l’élection de mercredi dernier, alors que ceux-ci, selon la loi, doivent être affichés le jour-même du vote – ce qui n’a pas été le cas dans de très nombreux endroits – et transmis immédiatement. L’opposition a assuré que de nouveaux formulaires pour les PV avaient été envoyés dans certaines régions, afin de produire de nouveaux résultats.

Que fera l’électorat CNL ?

La grande question est maintenant de savoir comment va réagir l’électorat CNL. Alors que Washington a appelé à éviter tout recours à la violence et à s’adresser « aux institutions juridiques établies pour résoudre les plaintes potentielles », le CNL a « réaffirmé que son combat politique se fait et se fera toujours par voie légale pour faire valoir le verdict du citoyen burundais ». Agathon Rwasa a été un peu plus ambigu : alors qu’il a assuré au journal Iwacu qu’il allait « saisir les organes habilités à trancher » sur l’issue d’élections qu’il récuse, il a aussi rejeté une marche « de compromission en compromission, dans cette situation où les criminels bénéficient de l’impunité totale ».

La situation est toutefois difficile pour Agathon Rwasa. Son porte-parole – qui joue ce rôle depuis l’époque où ils étaient dans le maquis – Aimé Magera, assure que certains mandataires CNL ont des PV de résultats électoraux « authentiques » et que le parti « se réserve le droit d’en faire bon usage ». Mais la Cour constitutionnelle burundaise passe pour acquise au CNDD-FDD. En appeler à une cour de justice non burundaise – de l’East African Community ou de la Cour pénale internationale, par exemple – prend tant d’années qu’elle pourrait n’avoir aucun effet sur le mandat du général Major Ndayishimiye, prévu long de 7 ans depuis la dernière réforme constitutionnelle.

Rwasa va-t-il dès lors « se coucher », comme il l’avait fait aux élections controversées de 2015, en échange de postes pour son parti ? Si oui, sa base, brutalisée par les forces pro-CNDD-FDD, le supportera-t-elle ?  Le CNL va-t-il se lancer à nouveau dans la lutte armée ?

Par Marie-France Cros.