Burundi : Le processus constitutionnel de transition est-il menacé ?
Politique

TV5MONDE, 11.06.2020

Succession de Pierre Nkurunziza : le Burundi devant une période d'incertitudes et de dangers

 Le gouvernement s'est réuni ce jeudi 11 juin lors d'un conseil des ministres afin de discuter de "la gestion de la situation consécutive au décès inopiné" de Pierre Nkurunziza. La mort du président burundais ouvre une période d'incertitude pour son pays, qui pourrait être soumis à des luttes d'influence déstabilisatrices. Son successeur Évariste Ndayishimiye est confronté à de multiples défis. Analyse.

En poste depuis 2005, Pierre Nkurunziza avait été élevé au rang de "visionnaire" et de "guide suprême du patriotisme", deux termes symbolisant son rôle central dans le système mis en place par le parti au pouvoir, le CNDD-FDD.

M. Nkurunziza, au pouvoir depuis 15 ans, devait achever son mandat le 20 août et passer le témoin au général Évariste Ndayishimiye, son dauphin désigné par le parti au pouvoir CNDD-FDD et vainqueur proclamé de la présidentielle du 20 mai, en dépit des accusations de fraudes massives de son principal rival.

Quelles conséquences pour le régime ? 

Sa disparition a suscité la stupéfaction et l'inquiétude dans ce pays fragilisé par des décennies de tensions ethniques et une longue guerre civile (300.000 morts entre 1993 et 2006). 

Pierre Nkurunziza n'exerçait pas seul le pouvoir et devait composer avec un petit groupe de généraux très puissants, issus comme lui de la rébellion hutu. "Certains d'entre eux pourraient profiter peut-être de ce vide pour reprendre un peu plus de pouvoir", n'exclut pas Carina Tertsakian, de l'Initiative pour les droits humains au Burundi.

"Il y aura des gens qui ont perdu leur patron. D'autres qui verront peut-être une opportunité pour avancer leurs pions", approuve Richard Moncrieff, expert pour l'International Crisis Group (ICG).

Après avoir décidé de ne pas se représenter, Pierre Nkurunziza penchait pour le président de l'Assemblée nationale, Pascal Nyabenda, pour lui succéder.

Marge de manœuvre accrue pour son successeur ?

Les généraux l'ont convaincu de lui préférer un militaire, Évariste Ndayishimiye, élu président le 20 mai dernier. Bien que lui-même général, ce dernier ne fait pas partie du groupe des durs tenant les clés du pouvoir.

S'il avait vécu, Pierre Nkurunziza aurait probablement gardé une énorme influence et limité la marge de manœuvre de Evariste Ndayishimiye, réputé plus tolérant.

"En principe c'est une opportunité pour lui de s'émanciper", avance Richard Moncrieff. Mais Mme Tertsakian considère que le nouveau président pourrait tout aussi bien n'avoir "pas le pouvoir ou la force de s'imposer" face aux généraux, dont "certains ont beaucoup de sang sur les mains"

S'il veut "introduire des réformes, améliorer la situation des droits humains, mettre fin à la violence politique (...), il risque de se heurter à des obstacles, à des réticences de la part de ces généraux qui ont intérêt à se protéger", souligne-t-elle.

Le processus constitutionnel de transition est-il menacé ?

"Si ça s'était passé avant les élections, ça aurait été le chaos vraiment", imagine Mme Tertsakian. Mais à présent, le processus de transition paraît bien balisé.

Evariste Ndayishimiye devrait être investi en août, à la fin du mandat de son prédécesseur. L'intérim pourrait être assuré par le président de l'Assemblée nationale, à moins que le pouvoir ne décide d'anticiper la prise de fonctions.

Selon la Constitution de 2018, en cas de vacances de poste définitive de la présidence, l’intérim est censé être assuré par le président de l’Assemblée nationale, un poste actuellement occupé par Pascal Nyabenda. 

La mort d'un président est généralement un élément déstabilisateur, "mais il est important de souligner que ça vient dans un contexte où en fait, la voie constitutionnelle est claire et n'est pas disputée", observe Richard Moncrieff.

Pour Carina Tertsakian, les divisions internes "assez prononcées au sein du parti au pouvoir" rendent toutefois la période intérimaire "très incertaine". Beaucoup dépendra de la capacité du futur chef de l'État "à tenir la situation, à éviter que soit Nyabenda, soit d'autres personnalités s'écartent de la voie constitutionnelle", convient Richard Moncrieff.

Quels défis attendent le général Ndayishimiye?

Avec la répression qui s'est abattue depuis la crise de 2015 sur les Burundais, dont un grand nombre ont été tués, torturés ou emprisonnés arbitrairement, Pierre Nkurunziza laisse un "héritage sombre et triste", celui d'un pays "en proie à la peur", estime Carina Tertsakian.

Il part aussi alors que 75% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, contre 65% en 2005. 

L'experte dit espérer que M. Ndayishimiye parvienne "à remettre le pays sur une direction plus positive, à "introduire des réformes", même si des "défis considérables" l'attendent.

Si les premières années de l'ère Nkurunziza avaient été marquées par des progrès en termes de développement et de réconciliation, les dirigeants burundais se sont ensuite, selon elle, "isolés sur le plan international, mais aussi isolés de la population".

"Ils n'écoutaient plus du tout, ils semblaient complètement indifférents au sort de la population (...) Ils se sont emmurés dans une espèce d'indifférence", constate-t-elle. Une logique dont le nouveau président devra sortir s'il veut tirer son pays vers le haut.