Burundi : quel pays laisse le Président Pierre Nkurunziza après sa mort soudaine ?
Analyses

France Culture, 14/06/2020

La mort lundi "par arrêt cardiaque" du Président burundais n’empêche pas les questions sur les véritables causes de son décès. Pierre Nkurunziza, qui estimait son pays "protégé par Dieu", serait-il le premier chef d’État à avoir succombé au coronavirus ? Et quel héritage laisse-t-il ?

La mort de Pierre Nkurunziza a réveillé les craintes d’une nouvelle instabilité politique dans un pays qui a connu une guerre civile de 1993 à 2006 et une grave crise politique en 2015. 

Cette disparition intervenue moins d’un mois après les élections présidentielles et générales du 20 mai s’accompagne d’un climat de suspicion et de questionnements sur les causes réelles de sa mort et l’épidémie de coronavirus, totalement occultée par les dirigeants de ce pays.

Colette Braeckman est journaliste au quotidien belge Le Soir et spécialiste de la région des Grands Lacs. 

Pierre Nkurunziza qui avait incarné un pouvoir autoritaire au Burundi pendant quinze ans est mort lundi à 55 ans. L’homme, qui n’avait pas brigué de nouveau mandat lors du scrutin du 20 mai mais se réservait un rôle de "guide suprême du patriotisme", a officiellement succombé à "un arrêt cardiaque". Les Burundais se posent toutefois des questions sur les causes de son décès. En sait-on un peu plus aujourd’hui ?

En fait, on savait "sous le manteau" que le Président Nkurunziza souffrait d’une maladie incurable, probablement d’un cancer, ce qui l’avait amené à ne pas briguer un nouveau mandat. Sur cet organisme affaibli, le coronavirus s’est invité et c’est vraisemblablement la cause de son décès. Par ailleurs au Burundi, il y a toujours beaucoup de suspicions et la rumeur d’un empoisonnement avait même couru un moment car sa mort a été soudaine mais c’est une rumeur totalement invérifiable.

Si la cause de l’aggravation de son état et de sa mort s’avère être liée au  coronavirus, il est l’un des rares chefs d’état africains à avoir opté pour une position de déni total face à cette pandémie ?

Cela ajoute un côté dramatique à la situation car le Burundi a encouragé la campagne électorale en ne lésinant pas sur les meetings et les réunions publiques. Pierre Nkurunziza martelait que l’on ne devait pas s’inquiéter. Or, maintenant, c’est pratiquement toute l’élite dirigeante qui est, ou a été frappée par la maladie. Le Président sortant a disparu. Son successeur élu était à l'hôpital vendredi encore, atteint du coronavirus. Celui qui doit assurer l’intérim, le président de l’Assemblée nationale a contracté, lui aussi, la maladie. Et donc c’est toute l’élite dirigeante du Burundi qui a très peur d’avoir été contaminée.

En proclamant que "l’air du Burundi était purifié par Dieu", en encourageant ses concitoyens à aller aux meetings électoraux, à la messe et à ne pas bouder les matchs de football, le Président défunt n’a pas seulement exposé l’élite mais aussi  sa population ?

Tout à fait, toutes sortes de rassemblements politiques ou autres se sont poursuivis, de même que les compétitions sportives et les matchs de football. Les représentants de l’OMS (l’Organisation internationale de la santé) à Bujumbura qui multipliaient les mises en garde ont été expulsés, sans autre forme de procès, pour que les élections puissent se tenir "sans trouble-fête". 

Aujourd’hui, la situation sanitaire dans le pays suscite des inquiétudes. De plus, un millier de citoyens congolais qui se trouvaient au Burundi sont rentrés il y a dix jours à Bukavu, au Sud Kivu, et maintenant l’épidémie touche cette région de la RDC.

Le défunt président Nkurunziza, un évangélique "Born Again", était connu pour être un homme redoutable face à tous ceux qui s’opposaient à lui. Des centaines de milliers de Burundais ont dû fuir le pays, notamment lors de la grave crise politique de 2015 qui a fait 1 200 morts. Le Burundi est sans cesse épinglé par  les organisations de défense des droits de l’homme. 

Sur la question ethnique, ce pays voisin du Rwanda compte, lui aussi, une population hutue et tutsie. Il a connu de 1993 à 2006 une guerre civile qui a fait 300 000 morts. Aujourd’hui et après quinze ans de règne, quelle image laisse Pierre Nkurunziza en termes de réconciliation du pays ? 

Il a mis hors course les formations politiques tutsies. Des milliers de Burundais, essentiellement tutsis, 60 000 environ, se sont réfugiés au Rwanda. Pierre Nkurunziza a dirigé le pays avec son parti, le CNDD, une sorte de parti unique composé d’anciens rebelles formés en Tanzanie et ce fut essentiellement un pouvoir hutu. Ce qui est à noter dans la situation du Burundi, c’est que les Tutsis ne sont pas partie prenante dans le jeu politique actuel et que les dissensions opposent surtout les partis hutus. 

Le principal rival du vainqueur supposé de l’élection présidentielle du 20 mai est lui-même un ancien chef rebelle hutu, Agathon Rwasa, qui aurait gagné les élections. Mais le scrutin a été entaché d’irrégularités, aucun observateur étranger n’a été autorisé et malgré la contestation des résultats, c’est le candidat du parti au pouvoir qui a donc été proclamé vainqueur.

Et pourtant Evariste Ndayishimiye, le vainqueur proclamé de l’élection, n’était pas vu comme le premier choix du défunt Président mais celui d’un clan de généraux au sein du parti présidentiel ?

Oui, car le parti au pouvoir est lui-même divisé. Les "durs" du régime, que je qualifierais de composante mafieuse du parti, n’ont pas approuvé la candidature du général Ndayishimiye. Il est un des fondateurs du parti au pouvoir qui a participé à la lutte armée depuis la Tanzanie, mais un clan du pouvoir le considère aujourd’hui comme un modéré. 

Les Etats-Unis ont d’ailleurs reconnu très vite sa victoire et se sont dits prêts à travailler avec lui dans l’espoir qu’il réduise le niveau de corruption. Cela n’a pas plu à l’aile dure du régime qui le conteste. Donc la situation qui n’était déjà pas stable au lendemain des élections l’est encore moins maintenant que le coronavirus fait des ravages parmi l’élite dirigeante.

Est-ce la raison pour laquelle la cour constitutionnelle a décidé vendredi d’investir le plus rapidement possible le nouveau Président et de ne pas attendre jusqu’au 20 août comme le veut la Constitution ? 

La Constitution prévoyait que le président de l'Assemblée assure l’intérim. Le problème est que tout le monde est tombé malade, ce qui rendait les dispositions constitutionnelles difficiles à appliquer. De plus, certains au Burundi craignaient des violences, d’autant qu’à l’heure actuelle on se demande qui commande les milices ethniques "les imbonerakure". 

Le parti au pouvoir a créé, à l’image de ce que l’on a vu au Rwanda avant 1994, ces redoutables milices hutues armées. Déployées dans tout le pays, elles agissent comme des "unités de choc" et aujourd’hui on ne sait pas qui les dirige et ce qui peut se passer. Une explosion de violence est à craindre et la situation devenait inquiétante.

Par Nabila Amel