Burundi / Sanctions : Gitega menace les Occidentaux de « réciprocité »
Diplomatie

La Libre Belgique12 octobre 2020

Depuis le 18 juin, le Burundi présente un nouveau visage: celui du président Evariste Ndayishimiye, qui a remplacé feu Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005, qui avait plongé le pays dans la crise, en 2015, en refusant de respecter l’Accord de paix d’Arusha qui lui interdisait un troisième mandat. Nouveau visage, nouveau départ? Beaucoup l’espéraient mais le nouveau chef d’Etat a réaffirmé les choix controversés de son prédécesseur, à l’exception du déni du Covid-19 développé par ce dernier – auquel il a sans doute succombé.

Depuis lors, les pays donateurs attendent un geste fort – des libérations de prisonniers d’opinion et politiques, la mise au pas de la meurtrière milice du parti au pouvoir, par ex – indiquant la volonté de Gitega de changer de direction. En vain jusqu’ici. Ils n’ont donc pas levé les sanctions individuelles que l’Union européenne et plusieurs Etats membres, ainsi que les  Etats-Unis avaient adoptées contre des dirigeants burundais depuis 2015, ni la suspension des coopérations d’Etat à Etat, partiellement remplacées par une aide à la population passant par des ONG.

Les “intérêts” des Européens?

Voilà qui ne plaît guère au très peu diplomate ministre burundais des Affaires étrangères, Albert Shingiro. Vendredi dernier, il a déclaré devant le corps diplomatique, qu’il avait convoqué: ”Le temps de poursuivre les sanctions est révolu”, ajoutant que cette politique devait “évoluer parallèlement” avec les événements “très positifs” qui se déroulaient au Burundi, où règnent “la paix et la sécurité”. Faute de quoi, Gitega “pourrait appliquer la réciprocité” à ces pays,  qui “ont des intérêts” au Burundi.

On pense généralement que M. Shingiro visait l’Union européenne. Or, il reste à celle-ci peu d’”intérêts” au Burundi. On cite ainsi une entreprise de travaux publics du groupe Vinci (France), Sogea Satom; mais elle réalise de moins en moins de routes, les Chinois raflant tous les marchés. Il y a aussi la brasserie Brarudi, co-entreprise entre le Hollandais  Heinneken et l’Etat burundais, qui en détient 44%. L’Allemagne et la Belgique ont SN Airlines.

Mais s’attaquer à ces entreprises serait se tirer une balle dans le pied. Les généraux qui tiennent le haut du pavé au Burundi ont acquis le quasi-monopole du transport de boissons et contrôlent la plupart des réseaux de distribution. S’attaquer à la Brarudi – dont le président du conseil d’administration est le ex-président de la Cour constitutionnelle – priverait en outre l’Etat burundais (et les bénéficiaires de la corruption qui n’a cessé de croître dans ce pays) de cette “vache à lait”. Sans oublier que les quelques entreprises à intérêts européens contribuent largement au PIB de ce Burundi ruiné par la mauvaise gestion.

L’UE reste le premier bailleur

Pour les pays donateurs que sont l’UE et ses Etats membres, les postures de va-t-en-guerre de M. Shingiro pourraient-elles être la goutte qui fait déborder le vase? L’UE reste le premier bailleur de fonds du Burundi dans les domaines de la santé, de l’agriculture, des routes et ponts, du transport de l’énergie et de l’éducation.

C’est elle aussi qui finance la plus grosse partie des missions de paix de l’Union africaine (UA), donc le contingent militaire burundais en Somalie. Les généraux qui occupent aujourd’hui le devant de la scène au Burundi le savent bien puisque, depuis le coup de force de Pierre Nkurunziza en 2015, c’est l’Etat burundais qui encaisse les soldes en dollars de ses militaires en mission pour l’UA et leur verse des francs burundais; la dépréciation monétaire atteignant plus de 40% depuis 2015, ils privent ainsi les  soldats du contingent du bénéfice qu’ils faisaient jusque-là sur le change. Pour le plus grand bénéfice des profiteurs du régime, alors que la population se bat pour sa survie dans une situation économique et financière précaire.

Par Marie-France Cros.