HRW alerte sur la situation des réfugiés burundais en Tanzanie |
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Human Rights Watch, 30 novembre 2020 Tanzanie : Des réfugiés burundais victimes de disparitions forcées et de torture Les autorités devraient mettre fin aux retours forcés et enquêter sur les actions de la police et des services de renseignements (Nairobi) – Les autorités tanzaniennes ont commis des abus graves à l’encontre d’au moins 18 réfugiés et demandeurs d’asile burundais depuis la fin de l’année 2019. Le sort de plusieurs victimes de disparitions forcées est toujours inconnu, et il est possible que d’autres Burundais aient subi des abus similaires. Entre octobre 2019 et août 2020, la police et les services de renseignements tanzaniens ont fait disparaître de force, torturé et détenu arbitrairement au moins 11 Burundais pendant plusieurs semaines dans des conditions déplorables dans un poste de police à Kibondo, dans la région de Kigoma. Trois d’entre eux ont été libérés en Tanzanie, et les autorités tanzaniennes ont reconduit de force les huit autres au Burundi en août, où ils sont détenus sans chef d’inculpation. La police tanzanienne a arrêté et fait disparaître de force sept autres réfugiés et demandeurs d’asile depuis janvier 2020. Les arrestations ont eu lieu dans les camps de réfugiés de Mtendeli et Nduta dans la région de Kigoma, près de la frontière avec le Burundi. « Les disparitions forcées de réfugiés et de demandeurs d’asile burundais en Tanzanie commises par les autorités tanzaniennes sont des crimes odieux, notamment en raison de l’angoisse et de la souffrance causées aux membres des familles, qui, pour nombre d’entre eux, ont fui des abus similaires au Burundi », a déclaré Mausi Segun, directrice de la division Afrique de Human Rights Watch. « Le gouvernement tanzanien devrait de manière urgente et impartiale enquêter sur les allégations selon lesquelles des Burundais ont été enlevés, torturés et remis illégalement aux autorités burundaises, et s’assurer que les responsables soient traduits en justice. » Plus de 150 000 réfugiés burundais vivent dans des camps en Tanzanie ; beaucoup ont fui les violences au Burundi après que l’ancien président Pierre Nkurunziza a décidé de briguer un troisième mandat contesté en 2015. Le gouvernement de Tanzanie fait désormais pression sur les réfugiés pour qu’ils retournent au Burundi. Entre août et novembre 2020, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 23 victimes d’abus, témoins et membres de familles des victimes. Sept autres sources travaillant dans les camps, qui n’ont pas souhaité être identifiées, ont corroboré les récits des victimes et des membres de leurs familles. Tous les cas documentés indiquent que les autorités tanzaniennes ont été impliquées dans les disparitions forcées. Neuf des victimes ont expliqué avoir été détenues au secret pendant plusieurs semaines au poste de police de Kibondo et que leurs familles n’ont pas été informées de l’endroit où elles se trouvaient. Des agents des services de renseignements ou des policiers tanzaniens ont interrogé les détenus sur leur appartenance présumée à des groupes armés et leur possession supposée d’armes, sur leurs activités dans le camp et dans certains cas, ont exigé de l’argent en échange de leur libération. Les Burundais ont raconté que la police tanzanienne les a détenus dans des pièces sans électricité ni fenêtres, les a conduits dans un bâtiment séparé dans l’enceinte du poste de police et les a suspendus au plafond par leurs menottes. Certains ont indiqué que la police et les agents des services de renseignements les ont soumis à des chocs électriques, ont frotté leur visage et leurs parties génitales avec du piment et les ont frappés et fouettés. Dans certains cas, la police et les agents des services de renseignements leur ont dit qu’ils avaient reçu des informations des autorités burundaises à leur sujet, laissant entendre une collusion entre les agents des deux pays. Un réfugié burundais qui a passé 23 jours au poste de police de Kibondo en juillet a décrit avoir été suspendu au plafond par les menottes : « Nous hurlions comme si on nous crucifiait... Ils ont dit qu’ils voulaient un million de shillings [tanzaniens] [430 USD]. » Lorsqu’il a répondu qu’il ne pouvait pas payer, la police l’a accusé de dissuader les réfugiés de retourner au Burundi et d’essayer de déstabiliser le Burundi. « Ils ont utilisé des rayons de roue de vélo pour percer nos parties génitales et ont frotté du piment dessus », a-t-il confié. « Nous mangions une fois tous les trois jours... Ils ont dit qu’ils allaient nous tuer. » Lorsqu’on lui a fait savoir qu’il pourrait rester en détention en Tanzanie ou être remis aux autorités burundaises, il a supplié qu’on le laisse retourner au Burundi. Cet homme et sept autres Burundais qui sont rentrés dans leur pays en août sont détenus depuis lors dans les prisons de Muramvya et Bubanza. Ils ont déclaré que des agents du Service national de renseignement burundais (SNR) les ont brièvement présentés devant une autorité judiciaire en août, en l’absence d’avocats, qui a répété les accusations des autorités tanzaniennes d’essayer de déstabiliser le Burundi et ordonné leur transfert en prison. Ils n’ont pas été présentés devant un juge ni formellement mis en examen depuis lors. Dans les cas des sept autres réfugiés et demandeurs d’asile arrêtés par la police, les membres de leurs familles ont expliqué qu’ils n’ont reçu aucune réponse des agents de police dans les camps lorsqu’ils ont demandé où étaient leurs proches. Certains ont aussi contacté le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). En réponse à la demande d’information de Human Rights Watch sur ces allégations, le HCR s’est dit profondément préoccupé par les informations faisant état de disparitions de réfugiés en Tanzanie. Le HCR a indiqué avoir exprimé à plusieurs reprises ces préoccupations aux autorités tanzaniennes tant oralement que par écrit, ayant demandé une enquête approfondie et ayant fourni un rapport écrit au gouvernement. Le HCR a écrit : « Après de multiples requêtes, le gouvernement a informé le HCR en août qu’une enquête de haut niveau était en cours. Nous n’avons été informés d’aucun résultat de cette enquête. Nous continuons de soulever cette question avec le gouvernement de toute urgence. » Le HCR a conclu : « La sécurité physique des réfugiés est de la responsabilité du pays qui les accueille et à cette fin, le HCR demande aux autorités tanzaniennes de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des réfugiés burundais, conformément à leurs obligations internationales. » Le 26 octobre, Human Rights Watch a adressé au Procureur général, au Directeur des services aux réfugiés du ministère des Affaires intérieures et à l’Inspecteur général de la police en Tanzanie des courriers fournissant des informations sur les cas documentés, et contenant des questions sur les enquêtes. Le 18 novembre, Human Rights Watch a également adressé un courrier aux ministres burundais des Affaires extérieures et de la Justice, pour solliciter des informations sur le cas des huit Burundais actuellement détenus dans les prisons de Muramvya et Bubanza. Human Rights Watch n’a reçu aucune réponse à ce jour. Le transfert par la Tanzanie de réfugiés et de demandeurs d’asile burundais détenus vers le Burundi sans respecter les principes fondamentaux d’une procédure régulière enfreint l’interdiction légale internationale du refoulement, c’est-à-dire le retour forcé de toute personne vers un lieu où elle pourrait être exposée à un risque réel de persécution, de torture ou autres mauvais traitements, ou à une menace pour sa vie. Au Burundi, les graves atteintes aux droits humains à l’encontre de membres de l’opposition réels ou supposés, y compris des réfugiés rentrant au pays, les exposent à des risques, a déclaré Human Rights Watch. En septembre, une Commission d’enquête sur le Burundi mandatée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a établi que des violations graves des droits humains perdurent au Burundi depuis 2019. La Commission a constaté que certains rapatriés ont continué à faire face à une hostilité de la part des autorités locales et de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, et que les « rapatriés ont parfois été victimes de violations graves qui les ont poussés à repartir en exil ». « Nous craignons que les Burundais qui ont disparu subissent le même sort que ceux qui ont déjà été renvoyés illégalement vers leur pays, ou pire », a conclu Mausi Segun. « Les autorités tanzaniennes devraient mettre tout en œuvre pour localiser ces personnes, informer leurs familles et leur accorder les droits fondamentaux dus aux réfugiés dans le monde entier. » Réfugiés burundais en Tanzanie La Tanzanie a accueilli des centaines de milliers de réfugiés au cours des dernières décennies et a accordé la citoyenneté à des dizaines de milliers de personnes présentes sur son territoire depuis 1972. Cependant, le pays présente aussi un inquiétant bilan de retours forcés et, en 2017, il a révoqué l’attribution prima facie du statut de réfugié aux Burundais, c’est-à-dire la reconnaissance du statut de réfugié sur la simple base de la nationalité. Depuis 2018, de nombreux demandeurs d’asile burundais rencontrent des obstacles à l’enregistrement. Au 31 octobre 2020, plus de 150 000 réfugiés burundais se trouvaient dans trois camps – Nduta, Nyarugusu et Mtendeli – dans la région de Kigoma en Tanzanie, près de la frontière burundaise. Bon nombre d’entre eux ont fui le Burundi après que la décision de l’ancien président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat contesté en 2015 a déclenché une crise des droits humains généralisée. Entre septembre 2017 et septembre 2020, près de 100 000 Burundais ont quitté la Tanzanie pour rentrer au Burundi dans le cadre d’un accord entre le Burundi, la Tanzanie et le HCR, qui doit mener des entretiens approfondis avec les réfugiés pour s’assurer qu’ils quittent la Tanzanie de manière volontaire. Depuis 2019, et pas plus tard qu’en septembre 2020, le HCR a réitéré qu’il « n’encourage pas les retours au Burundi », mais qu’il continuera à faciliter les rapatriements volontaires « en connaissance de cause ». Il a noté que « la Tanzanie prévoit de faciliter le rapatriement de 20 000 réfugiés burundais entre septembre et décembre 2020 ». En mars 2018, la Tanzanie et le Burundi ont convenu de rapatrier 2 000 Burundais par semaine et en août 2019, un accord entre la Tanzanie et le Burundi stipulait que tous les réfugiés devaient « rentrer dans leur pays d’origine, volontairement ou non » avant le 31 décembre de cette année-là. En décembre 2019, un rapport de Human Rights Watch a conclu que la crainte de subir des violences, d’être arrêtés et d’être expulsés avait incité de nombreux réfugiés et demandeurs d’asile burundais en Tanzanie à quitter le pays. Les autorités tanzaniennes ont spécifiquement ciblé une partie de la population de réfugiés burundais qui, du fait de son statut légal précaire et du manque d’accès à l’aide, était particulièrement vulnérable aux retours forcés au Burundi. Human Rights Watch a conclu que les autorités tanzaniennes ont également rendu très difficile pour le HCR de vérifier correctement si la décision de centaines de réfugiés de retourner au Burundi était réellement volontaire. Le 3 décembre, le ministre tanzanien des Affaires intérieures, Kangi Lugola, a démenti que le gouvernement « expulsait » des réfugiés et a affirmé que les autorités tanzaniennes et burundaises « ne faisaient que mobiliser, afin d’encourager ceux qui sont prêts à retourner dans leur pays de leur propre gré, à le faire ». À plusieurs reprises, les autorités burundaises ont évoqué la nécessité pour les réfugiés de rentrer de leur exil, avant et après les élections de mai 2020. Dans un discours lors de sa cérémonie d’investiture, le président Évariste Ndayishimiye a déclaré : « Nous lançons un appel à tous les Burundais qui désirent revenir dans leur patrie, qu’ils reviennent ». Cependant dans le même discours, il a aussi menacé les pays qui soutiennent les « ressortissants burundais qui s’adonnent à des actions de sabotage », faisant très probablement référence aux réfugiés qui ont fui le pays en raison de leur activisme dans la politique ou la défense des droits humains. La première visite à l’étranger d’Évariste Ndayishimiye en tant que président a eu lieu près de la frontière burundaise à Kigoma, en Tanzanie, en septembre. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et la Convention de 1969 relative aux réfugiés en Afrique interdisent le refoulement, le retour des réfugiés de quelque manière que ce soit vers des lieux où leur vie ou leur liberté serait menacée. Le HCR souligne qu’un refoulement se produit non seulement quand un gouvernement rejette ou expulse directement un réfugié, mais aussi lorsque les pressions indirectes sont si intenses qu’elles conduisent un réfugié à croire qu’il n’a pas d’autre option que de retourner dans un pays où il sera exposé à des graves risques. L’interdiction des retours forcés s’applique aussi aux demandeurs d’asile qui ne sont pas encore reconnus officiellement comme réfugiés. La situation des réfugiés burundais en Tanzanie étant un sujet sensible, Human Rights Watch a choisi de ne pas publier des informations permettant d’identifier les sources par crainte de représailles contre les victimes et leurs proches. Arrestations et disparitions forcées dans les camps La plupart des disparitions forcées documentées par Human Rights Watch suivait un même schéma. La police arrivait à la maison de la victime entre minuit et 3 heures du matin, en disant en swahili : « Musihofu, musihofu, sisi ni polisi » (« N’ayez pas peur, c’est la police »). Plusieurs sources ont mentionné le fait que les hommes portaient des uniformes de police tanzaniens verts, mais qu’ils n’ont pas présenté de mandat d’arrêt. Deux victimes de disparitions et deux membres de familles de victimes ont identifié des commandants de police des camps de Nduta et de Mtendeli parmi les policiers participant aux opérations. Le camp de Nduta en Tanzanie abrite actuellement 70 109 réfugiés et demandeurs d'asile burundais. Environ 154 000 Burundais vivent dans trois camps - Nduta, Nyarugusu et Mtendeli - dans la région de Kigoma, au nord-ouest de la Tanzanie, où certains ont été victimes d'arrestations arbitraires, de disparitions forcées et de torture. © 2020 SOS Médias Burundi La femme d’un réfugié de 42 ans vivant dans le camp de Nduta a raconté que son mari a été arrêté en février 2020 : Ils sont venus et ont fracturé la porte. Lorsqu’ils sont entrés dans la maison, ils ont dit : « C’est la police » et ont demandé notre téléphone... Je les ai suppliés de laisser mon mari s’habiller alors qu’ils le menottaient... Le matin, nous sommes allés voir les policiers qui gardent le camp. Ils nous ont dit qu’aucun policier n’était entré dans le camp la nuit précédente. C’est comme si toutes les forces de sécurité travaillaient ensemble. Son voisin a confirmé ce récit. La femme d’un autre réfugié, dont le mari a été arrêté en juillet dans le camp de Mtendeli, a raconté qu’elle a entendu des voix d’hommes près de sa maison vers 2 heures du matin : « Ils ont brisé la fenêtre de notre chambre et ont braqué une lampe torche sur nos visages. Ils parlaient en swahili et ont dit : “Nous sommes de la police, n’ayez pas peur, ouvrez la porte.” » Après que son mari a ouvert la porte, « ils nous ont demandé nos téléphones et ont menotté mon mari », a-t-elle poursuivi. « C’étaient des policiers habillés en uniformes verts ; l’un d’eux avait un pistolet. J’ai reconnu l’un d’eux : il faisait partie des policiers qui protègent le camp. » Le lendemain, lorsqu’elle est allée demander aux policiers du camp où était son mari, elle y a trouvé cinq autres femmes dans la même situation : « Quand nous leur avons demandé où étaient nos maris, ils ont répondu qu’ils n’étaient pas là et qu’ils ne savaient rien... À ce jour, je ne l’ai pas revu. » Six membres de familles de victimes qui ont demandé à savoir où se trouvaient leurs proches ont indiqué que la police a nié avoir placé les victimes en détention. Les membres des familles des sept réfugiés et demandeurs d’asile actuellement portés disparus sont toujours dans l’attente de savoir ce qui est advenu de leurs proches. Dans un cas, la femme d’une victime a confié avoir été menacée lorsqu’elle a demandé où était son mari : « Après plusieurs tentatives, je suis à nouveau allée voir les policiers du camp de Nduta... Mais cette fois, ils m’ont dit : “Si tu continues à nous embêter avec la situation de ton mari, nous t’emmènerons là où il est.” Depuis ce jour, je n’ai plus posé de questions à son sujet, parce que je ne sais pas s’ils l’ont tué et s’ils me tueront aussi. » En vertu du droit international, une disparition forcée survient lorsque des agents étatiques ou des personnes ou des groupes agissant avec l’autorisation, le soutien ou l’assentiment d’un gouvernement, privent une personne de liberté puis refusent de reconnaître la privation de liberté ou cachent le sort ou la localisation de la personne. Une disparition forcée perdure tant que la personne « disparue » reste introuvable et qu’aucune information sur son sort n’est fournie. Elle fait aussi plusieurs victimes. Les proches d’une personne disparue subissent l’angoisse de ne pas savoir ce qui lui est arrivé, ce qui constitue un traitement inhumain et dégradant. Les proches peuvent être également traités de manière inhumaine et dégradante par les autorités qui refusent de mener une enquête ou de fournir des informations sur le sort de la personne disparue. Ces aspects font des disparitions forcées une violation particulièrement pernicieuse et soulignent le sérieux avec lequel les autorités devraient s’acquitter de leurs obligations pour prévenir et assurer que justice soit rendue pour ce crime. La Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, que la Tanzanie a ratifiée en 1984, interdit l’arrestation et la détention arbitraires, la torture et les mauvais traitements, et tout autre abus qui constitue une disparition forcée. La Tanzanie figure parmi les quelques pays qui n’ont pas ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Convention contre la torture »). La Tanzanie n’a pas non plus ratifié la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Cependant, l’interdiction absolue de la torture et des disparitions forcées fait partie du droit international coutumier et ces crimes figurent dans le Statut de la Cour pénale internationale. En vertu du droit international, la torture et la disparition forcée sont des crimes soumis à la compétence universelle, ce qui signifie que tout pays peut juger de tels actes indépendamment du lieu où les crimes ont été commis ou de la nationalité des auteurs des abus ou de la victime. Abus commis au poste de police de Kibondo Human Rights Watch a interrogé neuf Burundais qui ont fait l’objet d’une disparition forcée et qui ont expliqué qu’ils ont été conduits au poste de police de Kibondo, à environ 11 kilomètres du camp de Nduta et 25 kilomètres du camp de Mtendeli. Ils ont indiqué avoir été détenus pendant plusieurs semaines entre octobre 2019 et août 2020. Certains ont été détenus au départ au poste de police du camp et tous ont décrit être passés par le poste de police de Kibondo, où ils ont été enfermés dans une pièce obscure sans fenêtres. Les interrogatoires ont eu lieu dans un autre bâtiment dans la même enceinte. Un Burundais a raconté : Lorsque nous sommes arrivés au camp, nous avons été placés dans une petite pièce [qui] n’avait ni fenêtres ni électricité. Il n’y avait pas d’eau ou de toilettes. Nous avions juste un seau. Nous mangions rarement et nous avons été torturés. Ils nous ont frappés dans un autre bâtiment [dans l’enceinte] à proximité. Ils ont passé une corde entre nos menottes et nous ont suspendus. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là. La douleur était au-delà du supportable. « Dans ce bâtiment, il y a des barres auxquelles les personnes sont suspendues », a confié un Burundais de 32 ans détenu au poste de police d’octobre à novembre 2019. « Ils utilisent aussi des chocs électriques comme méthode de torture dans ce bâtiment. » La police et les agents des services de renseignements l’ont accusé de porter des armes et de tenter de déstabiliser le gouvernement burundais : J’ai nié ces accusations, alors ils m’ont ordonné d’enlever tous mes vêtements. Ils m’ont menotté les pieds aux mains et m’ont suspendu, puis ils m’ont fouetté avec une chambre à air [de vélo]. Ils m’ont battu avec des bâtons... Ils m’ont frappé partout où ils voulaient, sur tout le corps... J’ai hurlé en vain, ils n’avaient aucune pitié... Comme je ne voulais pas leur dire ce qu’ils voulaient entendre, ils m’ont suspendu encore et encore... Je souffrais tellement que je les ai suppliés de me tuer – je ne sais pas combien de temps ils m’ont frappé. Un Burundais, qui a été arrêté par les agents de police du camp et détenu au poste de police de Kibondo en novembre 2019 pendant deux semaines, a expliqué que les policiers l’ont accusé d’avoir des armes et l’ont torturé à plusieurs reprises : Ils ont plongé un bâton avec une extrémité couverte de coton dans un verre plein de piments et me l’ont introduit dans l’anus. Comme je niais toujours posséder des armes, ils m’ont versé du piment sur les yeux et sur tout le corps... J’ai continué à dire que je n’avais pas d’armes, alors ils ont raccordé deux câbles électriques à mon torse. C’était insupportable. Une autre personne, qui a été libérée après deux semaines au poste de police de Kibondo en mars 2020, a déclaré : Sur toute la période, on m’a donné à manger deux fois. Les autres détenus tanzaniens nous ont donné un peu de la nourriture qu’ils recevaient de leur famille. J’ai vu un autre réfugié appelé « Gervais » [pseudonyme]. Il m’a dit qu’il était détenu là depuis quatre jours sans manger. Il m’a donné le nom de sa femme et lorsque j’ai été libéré, je l’ai informée que je l’avais vu. Il était souvent battu sévèrement, nu. Il saignait de partout. Un jour, il a été sorti de la cellule et je ne l’ai jamais revu. Ce récit a été confirmé pour Human Rights Watch par la femme de Gervais, qui a expliqué que les policiers ont emmené son mari à 3 heures du matin le 12 mars dans le camp de Nduta. Elle a précisé qu’elle a signalé sa disparition aux policiers du camp, qui lui ont répondu qu’aucun policier n’était venu dans le camp cette nuit-là : « Ils ont dit qu’ils mèneraient une enquête, mais je n’ai jamais eu aucune nouvelle. » Collaboration entre les autorités burundaises et tanzaniennes Huit réfugiés et demandeurs d’asile burundais ont été arrêtés dans les camps de Nduta et de Mtendeli entre fin juillet et début août et détenus au secret pendant une période allant jusqu’à plusieurs semaines au poste de police de Kibondo, puis ont été remis à des agents Service national de renseignement à la frontière en août. Six d’entre eux ont indiqué que les services de renseignements et la police tanzaniens les ont maltraités et leur ont demandé un million de shillings tanzaniens (430 USD) en échange de leur libération. Ne pouvant pas payer, les hommes ont expliqué qu’on leur a donné le choix entre rentrer au Burundi ou mourir en détention. Un Burundais a déclaré qu’après avoir été détenu 23 jours au poste de police de Kibondo : [I]Ils nous ont fait monter dans une voiture, les mains liées et les visages couverts, et ont conduit huit d’entre nous à la frontière, où des agents de sécurité [burundais] nous attendaient. Nous n’avions pas vu de juge pourtant... À la frontière, nous avons entendu un agent de police tanzanien dire aux Burundais : « Gardez ça secret, partons vite pour que l’immigration ne nous trouve pas ici. » Au bout de 30 minutes dans la voiture [avec les Burundais], nous hurlions de douleur parce que les cordes qui nous liaient les mains nous faisaient mal. Ils les ont enlevées, mais nous ont laissé les yeux bandés. Nous avons passé huit jours au bureau du service national de renseignement à Bujumbura, où nous avons été interrogés. Ils nous ont fait signer un papier et ont promis que nous serions libérés, mais au lieu de cela, ils nous ont tous envoyés en prison. Sur les huit hommes renvoyés de force au Burundi en violation de l’interdiction légale internationale du refoulement, quatre sont détenus à la prison de Bubanza et quatre à la prison de Muramvya. Deux autres Burundais, qui ont été détenus au poste de police de Kibondo, ont aussi indiqué que pendant les interrogatoires, les agents des services de renseignements tanzaniens leur ont affirmé que les services de renseignements burundais avaient transmis des informations à leur sujet. Une personne, relâchée plus tard en Tanzanie, a raconté qu’elle a été interrogée sur son passé de militaire au Burundi : Ils savaient déjà que j’avais servi dans l’armée, alors que je n’en avais pas parlé... J’ai dit que je n’avais pas d’armes, mais ils ont dit qu’ils allaient me tuer et s’ils ne le faisaient pas, ils m’enverraient au Burundi... Lorsqu’ils m’ont libéré, ils ont dit que si le gouvernement du Burundi avait besoin de moi, ils viendraient me chercher. Recommandations Le gouvernement tanzanien devrait :
Le gouvernement burundais devrait :
Le HCR devrait déclarer publiquement que le retour forcé depuis la Tanzanie des réfugiés et des demandeurs d’asile burundais dans les cas documentés constitue un refoulement, en violation de la Convention des réfugiés, et il devrait exhorter les autorités tanzaniennes à mettre fin à tous les retours forcés ou contraints. La Communauté d’Afrique de l’Est, la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et l’Union africaine devraient exhorter publiquement la Tanzanie à enquêter sur les signalements de disparitions forcées, d’arrestations arbitraires et de torture, et à ne pas renvoyer de force directement ou indirectement des demandeurs d’asile ou des réfugiés. |