Burundi : avec le nouveau Président, la solution s’éloigne |
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La Libre Belgique, 8 décembre 2020 Burundihri – qui regroupe des chercheurs sur les droits de l’Homme au Burundi – a publié mardi 8 décembre un nouveau rapport sur ce pays. Intitulé « Mainmise sur l’avenir du Burundi », il constate que l’arrivée à la Présidence du général Evariste Ndayishimiye, loin d’être une ouverture comme ont voulu le croire certaines chancelleries, éloigne encore la « lumière au bout du tunnel » que certains pensaient apercevoir. Le rapport n’apporte aucune révélation mais confirme les articles de presse parus sur le sujet depuis les élections frauduleuses de mai dernier et la mort du président Pierre Nkurunziza, le 8 juin, qui précipita l’investiture de son successeur, Evariste Ndayishimiye. Il fournit en revanche des détails intéressants sur l’aile dure montante du parti au pouvoir depuis 2005, le CNDD-FDD, et sur le déclin du seul parti de masse de l’opposition, le CNL d’Agathon Rwasa – qui pourrait être le véritable vainqueur des élections de mai. Il analyse « l’hypocrisie » du nouveau Président, sans cesse en contradiction avec ses propres déclarations, et l’absence de réactions des chancelleries face au drame burundais. Ce rapport est basé sur des entretiens avec des victimes, parents de victimes ou témoins d’exactions; avec d’ex-autorités gouvernementales et judiciaires; avec des membres des forces de sécurité, du parti au pouvoir, de l’opposition; avec des avocats, des journalistes et des membres de la société civile, en majorité vivant au Burundi. Diplomates étrangers frileux « Les diplomates étrangers se sont montrés très peu enclins à confronter directement les autorités burundaises au sujet des violations de droits de l’Homme en cours », ce qui « renforce l’impunité » des criminels. Selon les chercheurs de Burundihri, ils devraient pourtant « préciser qu’il est prématuré de reprendre l’aide directe au gouvernement burundais » en l’absence de progrès significatifs. Selon les chercheurs, les agences de l’Onu devraient en particulier éviter de « directement financer (ou) soutenir des projets gérés ou supervisés par le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique », Gervais Ndirakobuca, et plutôt chercher des moyens de « canaliser autrement les financements vers les bénéficiaires » de l’aide internationale. Plusieurs chapitres sont consacrés en particulier à la Tanzanie, proche des dirigeants burundais actuels, et tout spécialement à l’ex-Président Jakaya Kikwete, pour leur reprocher de ne pas utilisr leur influence sur le régime burundais pour faire baisser le nombre de violations de droits de l’Homme. Sinistres figures L’apport principal du rapport est la série de portraits des sinistres figures qui dirigent le Burundi autour du président Ndayishimiye: le nouveau Premier ministre Guillaume Bunyoni; son bras droit Désiré Uwamahoro; le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique, Gervais Ndirakobuca, dit « Ndakugarika » (« je vais te tuer » en français), personnellement accusé de plusieurs meurtres; son homme de main Joseph Mathias Niyonzima, dit « Kazungu » (« petit blanc »); Ildephonse Habarurema, chef du Service national de Renseignement » et deux de ses tueurs; Prime Niyongabo, chef d’état-major de l’armée depuis 2012. L’effacement d’Agathon Rwasa Le rapport s’intéresse, enfin, au déclin du CNL (Conseil national pour la liberté, ex-FNL, guérilla hutue). Alors que ce parti d’opposition – seul parti de masse de celle-ci et rival du CNDD-FDD pour le vote hutu – s’était considérablement renforcé durant la campagne électorale, en dépit de la forte répression dont il était (et est toujours) victime, il est pratiquement effacé de la scène politique, constate Burundihri, ce qui fait qu' »il n’y a plus d’opposition politique significative » au Burundi. A l’issue des éclections frauduleuses de mai, le CNL s’est vu octroyer 32 sièges sur 123 (contre 86 au CNDD-FDD) mais, contrairement à ce qui s’était passé sous la législature précédente (2015-2020), n’est pas inclus dans le gouvernement et n’occupe aucun poste de responsablité à l’Assemblée nationale, tandis que ses deux gouverneurs de province n’ont pas été reconduits dans leurs fonctions. Le CNL subit ainsi, analyse Burundihri, l’effet de l’inertie de son chef, Agathon Rwasa, adulé par ses troupes mais seul au pouvoir au sein de son parti. Rwasa a été neutralisé par le CNDD-FDD, notamment parce qu’il est sous le coup de plusieurs actions judiciaires, dont celle intentée au sujet du massacre de plus de 150 réfugiés congolais à Gatumba, en 2004. Depuis les élections de mai dernier, le CNL a subi l’arrestation de 467 de ses membres, tandis que 6 ont été tués et 12 ont disparu. L’aile dure victorieuse Le rapport s’inquiète de « l’avenir précaire du Burundi » et de « la profondeur du bourbier dans lequel » se trouve le président Ndayishimiye, ce qui le pousse à faire des déclarations contradictoires, parfois « colombe », parfois « faucun », les premières n’étant pratiquement jamais suivies d’effet. Sous son règne, la tendance « dure » du CNDD-FDD a, au total, renforcé ses positions, même si l’on observe des changements de personnes au sein du parti au pouvoir. « La lumière au bout du tunnel semble s’éloigner », conclut le rapport. MFC
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