Au Burundi, un vrai faux changement cautionné par la communauté internationale
Politique

Le Monde, 29 décembre 2020

 Le nouveau président Evariste Ndayishimiye veut faire revenir le pays dans le jeu diplomatique, mais, en interne, la situation politique demeure crispée.

Faut-il y voir le signe d’une timide ouverture au Burundi ? Jeudi 24 décembre, après quatre cent trente jours de détention, quatre journalistes de l’hebdomadaire Iwacu, l’un des rares médias indépendants encore opérationnels au Burundi, ont été libérés. Evariste Ndayishimiye, le chef de l’Etat, élu en mai et en fonction depuis juin, leur a accordé la grâce présidentielle.

Entre le Burundi de Pierre Nkurunziza, mort le 8 juin après quinze ans de pouvoir autocratique et répressif, et celui de son successeur et dauphin Evariste Ndayishimiye, la différence est tantôt nette, tantôt floue. Au temps du premier, le pays se résumait à des tensions diplomatiques tous azimuts. Dans le déni de tout ce qui portait atteinte à l’image du régime, le président est allé jusqu’à nier l’existence du Covid-19, dont beaucoup estiment qu’il a finalement été la cause de son décès.

Sous Evariste Ndayishimiye, le Burundi semble vouloir normaliser ses relations avec le monde. Il n’est plus à couteaux tirés avec le Rwanda, autrefois son ennemi public numéro un. L’Union européenne n’est plus présentée comme « ce club d’impérialistes qui cherche par tous les moyens à maintenir sa domination sur les Burundais », refrain fredonné par le régime durant les cinq années de crise politique déclenchée en 2015 quand Pierre Nkurunziza avait imposé par la violence sa candidature pour un troisième quinquennat.

L’ère de la realpolitik

Cette nouvelle posture séduit manifestement les puissances occidentales qui, le 4 décembre, ont décidé de retirer le Burundi de l’agenda du Conseil de sécurité des Nations unies. L’institution onusienne a fait valoir dans un rapport « une amélioration de la situation sécuritaire au Burundi ». Elle a estimé également que « les élections globalement pacifiques ont marqué une nouvelle phase » mais a tout de même exhorté le pays à affronter « des défis persistants sur des questions telles que la réconciliation nationale, l’état de droit et la préservation de l’espace démocratique ».

En réalité, le climat politique interne est encore loin de se décrisper. Une partie des opposants vit toujours en exil et des rapports continuent d’alerter sur la situation des droits humains. La Ligue Iteka, la plus vieille organisation burundaise de défense des droits humains – officiellement suspendue depuis 2017 par le gouvernement – documente semaine après semaine les disparitions, violences et intimidations perpétrées notamment par des milices liées au régime.

Pour certains observateurs, la communauté internationale se contente ainsi de cautionner un vrai faux changement. « C’est l’ère de la realpolitik. Le retrait du Burundi de l’agenda du Conseil de sécurité le traduit bien parce que, sur terrain, les violations des droits humains se poursuivent », juge Thierry Vircoulon, coordinateur de l’Observatoire pour l’Afrique centrale et australe de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Pour le chercheur, cette réalité est difficilement acceptable pour l’opposition burundaise. « Depuis son boycott des élections en 2010, elle se trompe sur sa lecture de la politique internationale. En 2010 par exemple, elle croyait que l’annulation du scrutin allait être demandée. De même pour la crise de 2015, elle avait trop d’attentes vis-à-vis de la communauté internationale qui, aujourd’hui, joue la carte du plus fort », décrypte-t-il.

Une analyse que partage une source diplomatique à Bujumbura : « L’Union européenne a tenté la carte des droits de l’homme avec 2015. Ça n’a pas marché. Le seul résultat est qu’elle a presque perdu le contrôle de la situation avec la résistance du régime. Maintenant il faut changer de stratégie, explique-t-elle froidement, ajoutant qu’il s’agit aussi pour l’Europe de tenir devant la montée en puissance de la Chine et de la Russie en Afrique, deux géants qui font peu de cas des droits humains. Le principal baromètre que regardent aujourd’hui les puissances occidentales est la capacité d’un Etat à stabiliser le pays. Ceci, le CNDD-FDD [Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie, le parti au pouvoir] l’a réussi. »

« Excellent présage »

Toutefois, le bénéfice politique de la stabilité vanté par le régime reste à relativiser, dans un pays qui figure toujours parmi les plus pauvres de la planète. « La paix permettra de nouveau aux vrais problèmes du Burundi d’émerger : la pauvreté, l’emploi, nuance notre source. Or le chef de l’Etat s’est entouré d’hommes dont l’expertise à résoudre ce genre de défis reste à prouver, et qui ont juste brillé dans la répression des manifestants. Avec son ambition de relever une économie déjà dans le gouffre, les hauts gradés qui forment le premier cercle du régime risquent de se sentir inutiles. Leur terrain de compétence est un contexte d’instabilité. »

Des dissensions ne sont pas à exclure à l’avenir entre les partisans de l’ouverture et les tenants d’une ligne dure. Une menace qui pourrait expliquer pourquoi Evariste Ndayishimiye semble se chercher des soutiens et construire son réseau en menant des discussions informelles avec des diplomates.

Des négociations de haut niveau entre l’Union européenne et le pouvoir de Gitega – la nouvelle capitale politique – seraient déjà en cours sur la reprise de coopération après les sanctions économiques prises en 2016. La libération des journalistes d’Iwacu peut ainsi être interprétée comme un geste de bonne volonté de la part du président. Dans la foulée de l’annonce, Claude Bochu, ambassadeur de l’Union européenne au Burundi, n’a pas caché sa satisfaction : « Soulagement et excellent présage pour la nouvelle année ! », a-t-il vite réagi dans un tweet flanqué du décret présidentiel annonçant cette remise en liberté.

Armel-Gibert Bukeyeneza (Nairobi, correspondance)