En 2020, quelle "personnalité" aura le plus marqué l’année au Burundi ?
Question à La Une

@rib News, 01/01/2021


Pour le monde entier, l’année 2020 a été synonyme de COVID-19. Cette année, alors que la pandémie due au Cornavirus a emporté de nombreux anonymes et personnalités de par le monde, au Burundi l’histoire retiendra qu’elle aura tourné la page de deux de ses « Pierre » angulaires.

L'année 2020 a en effet vu la disparition, des suites de la Covid-19, de deux présidents de la République du Burundi, Pierre NKURUNZIZA et Pierre BUYOYA, deux figures incontournables de la vie politique du pays de ces trente dernières années.

A eux deux seuls, ils ont cummulé 28 ans de pouvoir : 13 ans pour Buyoya (1987-1993 et 1996-2003) et 15 ans pour Nkurunziza (2005–2020). Ils ont dirigé le pays d’une main de fer.

Pendant 25 ans, les deux hommes se sont combattus, puis ont cohabité et pour finir par se détester.

1995-2005 : La confrontation.

Pour rappel, octobre 1993 : des militaires extrémistes Tutsis assassinent Melchior Ndadaye, Premier président Hutu du pays, démocratiquement élu, mais leur coup d'Etat échoue. Eclate alors une guerre civile qui va durer jusqu’en 2005. Elle oppose l’armée, toujours composée et dirigée par des Tutsis, à des rébellions hutues.

D’un côté Pierre BUYOYA, président putschiste, et de l’autre Pierre NKURUNZIZA, en chef rebelle : une guerre impitoyable et sanglante, ayant emporté plus de 300.000 de leurs compatriotes, ne parviendra pas à les départager.

2005-2015 : L’idylle.

Après des pourpalers sous l’égide de Nelson Mandela, d’où n’est sorti ni vainqueur ni vaincu, Buyoya et Nkurunziza passent du « face à face » au « côte à côte ». Un pacte est scéllé entre les deux « Pierre » : le pouvoir pour l’un et une carrière internationale pour l’autre.

Nkurunziza adopte alors les méthodes Buyoya, devenu son conseiller de l’ombre : L’autoritarisme est érigé en mode de gouvernance. La dérive d’un pouvoir autoritaire et personnel s’enclenche. Au fur des ans, l’élève dépasse le maître.

Buyoya quitte le pays, avec les bénédictions du gouvernement Nkurunziza, pour plusieurs missions à différentes échelles en Afrique, pour le compte de l’Union africaine (UA), de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) et de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC).

En 2014 Nkurunziza tentera, en vain, de placer son « ami » Buyoya à la tête de l’OIF. Le passé de l’ancien major redoutable des ex-Forces armées burundaises (ex-FAB), putschiste récidiviste, ne passe pas aux yeux de la France qui lui préfère alors la Canadienne Michaëlle Jean. En effet, les treize années de pouvoir du major-président n'ont pas laissé que de bons souvenirs.

2015 : La rupture.

Pierre Nkurunziza opte pour un troisième mandat à la tête de l’Etat, provoquant de puissantes manifestations de la population et une tentative de rébellion militaire rapidement étouffée.

Les deux hommes avaient notamment convenu de « travailler main dans la main » pour que Buyoya se charge de défendre le troisième mandat de Nkurunziza auprès de la communauté internationale. Mais Buyoya trahit leur pacte et rejoint le camp des « anti-troisième mandat ». Le divorce est consommé entre les deux « Pierre ».

Le prix de la réélection de Nkurunziza pour ce troisième mandat anticonstitutionnel est bien connu : lois liberticides, répressions brutales, arrestations arbitraires, fuites massives de réfugiés à l’étranger… Les rancoeurs refont surface.

Pierre Buyoya s’exile alors à Bamako, où il occupe, depuis 2012 jusqu’à fin novembre 2020, le poste de Haut représentant de l’Union africaine (UA) pour le Mali et le Sahel.

En décembre 2018, le Burundi lance un mandat d'arrêt international contre Buyoya, ainsi que 11 gradés de haut rang des ex-FAB et cinq de ses anciens proches collaborateurs civils, pour leur rôle présumé dans l'assassinat de Melchior Ndadaye.

En octobre 2020, la Cour suprême du Burundi condamne « in absentia » Pierre Buyoya à la prison à vie. Ce procès s’est déroulé « à huis clos » en l’absence de la majorité des prévenus qui ont, comme lui, quitté le pays depuis de nombreuses années. Après le verdict, BUYOYA a dénoncé un « procès politique » et une « parodie de justice », le Tribunal ayant refusé à ses avocats d’accéder au dossier. L'ancien président annonce son intention d'interjeter appel.

Pierre Buyoya va alors démissionner du poste de Haut représentant de l'Union africaine au Mali et au Sahel, car, dit-il, il veut « consacrer tout son temps et toute son énergie à sa défense et laver son honneur ». Mais la vie ne lui en donnera pas le temps puisqu'il allait quitter ce Monde deux mois plus tard. Le Burundi ne connaîtra donc jamais sa version des faits sur les événements qui ont ensanglanté le pays.

2020 : Réunis par le destin, à l’ombre de la Covid-19.

Pierre Nkurunziza décède brutalement le 8 juin 2020, quelques semaines après l’élection de son dauphin désigné à la tête de l’Etat, Evariste Ndayishimiye. Officiellement le président burundais est décédé d'un arrêt cardiaque, mais nombreux Burundais et observateurs soupçonnent fortement que Nkurunziza, qui selon une source médicale était en « détresse respiratoire » au moment de sa mort, a succombé à la Covid-19, au moment même où son épouse, Denise, est soignée pour cette pandemie dans un hôpital de Nairobi, au Kenya.

Pierre Nkurunziza, Président autoritaire et tout-puissant du Burundi depuis quinze ans, a ainsi succombé à cette épidémie qu'il avait tant pris soin de minimiser et de mépriser auprès de sa population.

Le 26 juin 2020, Pierre Nkurunziza aura droit à des funérailles nationales et grandioses à Gitega, la toute nouvelle capitale politique et administrative du pays. Les Burundais lui rendront un dernier hommage lors d’une cérémonie à la grandeur du défunt Président, réhaussé entre temps au titre de « Guide Suprême Eternel » du pays.

Pierre Buyoya décède le 18 décembre 2020 à Paris de la Covid-19, alors qu'il était en train de rejoindre un hôpital parisien. Buyoya avait contracté le coronavirus alors qu'il se trouvait à Bamako au Mali. Il était hospitalisé depuis une semaine à la clinique Pasteur dans la capitale malienne, placé sous respirateur artificiel. Son état de santé s'est brusquement dégradé, il a finalement été évacué par un avion médicalisé vers Paris. Trop tard, puisqu’il est décédé durant son transfert en ambulance d’un aéroport parisien vers l’hôpital américain de Neuilly.

Pierre Buyoya meurt juste deux mois après avoir été condamné à la prison à perpétuité au Burundi pour l'assassinat en 1993 de son prédécesseur Melchior Ndadaye. Condamnation qui va pousser Buyoya à démissionner, quelques semaines avant son décès, de son poste de Haut représentant de l’Union africaine au Mali et au Sahel.

Tel un simple réfugié, Pierre Buyoya a été enterré le 29 décembre 2020 à Bamako au Mali, loin de son Burundi natal, sans tambour ni trompette.

Ainsi en 2020, un incroyable coup du destin aura réunis les deux « Pierre », dans la mort ! Fauchés par la Covid-19, ils se sont éteints presque dans les mêmes circonstances.

Les trois « Pierre » angulaires du foyer "Amashiga"

Si l'année 2020 a vu la disparition de Pierre NKURUNZIZA et Pierre BUYOYA, pour la grande Histoire le Burundi aura eu un autre « Pierre », NGENDANDUMWE de son nom. Il fut le premier Premier ministre Hutu du pays. Il a été Vice-Premier ministre et ministre des Finances en 1961 dans le gouvernement du Prince Louis Rwagasore, Héros de l’Indépendance du pays, son compagnon de lutte.

Pierre NGENDANDUMWE a été assassiné le 15 janvier 1965, le jour de la formation de son Gouvernement, après avoir été désigné par le Roi Mwambutsa IV comme Premier ministre, le 7 janvier 1965. En décembre de la même année, l’Assemblée nationale le rehausse au rang de Héros de la démocratie, une loi abrogée en 1966 à à la suite du coup d’Etat du capitaine Tutsi Michel Micombero contre le Roi Ntare V qui, quelques mois à peine, venait de remplacer son père, le Roi Mwambutsa IV, à la tête du Burundi.

« Uri Petro ni ukuvuga ikinja nitoreye. » (Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église). Dans un pays encore très catholique et profondément croyant, jamais un prénom n'aura autant marqué le mythe.

Ainsi le Burundi aura eu ses trois « Pierre », telles les trois pierres angulaires du foyer traditionnel burundais "Amashiga", qui sert de chauffage et d’éclairage. Entre les trois pierres, disposées de manière à supporter une marmite, on place des morceaux de bois ou du charbon auxquels on met le feu.

Le soir, les membres de la famille s’asseyent autour du foyer "Amashiga", ils dialoguent en attendant que la nourriture soit prête. Ils écoutent des proverbes, des contes, des devinettes, des récits ou des légendes.

Il est fort à parier qu’autour du foyer "Amashiga", sera aussi conté l’histoire des trois « Pierre » qui auront marqué de façon indélébile l’Histoire du Burundi.

Et la légende qui y sera contée, comme dans un film du Far West, racontera sans doute qu’il était une fois, dans un pays lointain, trois « Pierre » : « le Bon, la Brute et le Truand » !

Si je nohahera !

Pour La Rédaction

Ir Jean-Claude KARIBUHOYE