Démission du Premier ministre de la RDC : Que s'est-il passé ?
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BBC Afrique, 29 janvier 2021

Démission du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilukamba de la RDC : qu'est-ce qui vient de se passer et pourquoi c'est important ?

Le Premier ministre du Sylvestre Ilunga Ilunkamba vient de remettre sa démission et celle de son gouvernement au Président Félix Tshisekedi.

Le chef du gouvernement congolais déclare avoir tiré les conséquences de l'évolution de la situation politique actuelle.

Que s'est-il passé ?

Une majorité de députés de la nouvelle majorité présidentielle a voté ce mercredi une motion de censure contre le Premier ministre congolais pour "mauvaises performances".

367 députés sur 500 ont voté la défiance. C'est le dernier épisode de l'opération de prise de contrôle des différentes institutions de pouvoir par le Président Félix Tshisekedi.

Le Premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilukamba, proche de l'ex-Président Joseph Kabila, était absent au Parlement pour se défendre. Une lettre qui lui est attribuée et qui circule sur les réseaux sociaux révèle que le Premier ministre a refusé de venir au Parlement parce que le président actuel et son bureau n'étaient, selon lui, pas légitimes pour examiner une motion de censure.

Suite à ce vote, Sylvestre Ilunga Ilukamba avait 24 heures pour remettre sa démission selon la Constitution.

Dans un communiqué, Sylvestre Ilunga Ilukamba a déclaré : "en tant que Républicain, respectueux de la Constitution et des institutions de la République, je me dois de reconnaître la compétence de l'Assemblée nationale à examiner la motion de censure qui m'a été destinée dès lors qu'elle a été signée par 301 députés nationaux".

"J'attends la notification de cette décsion pour prendre mes responsabilités conformément à la Constitution", a-t-il ajouté.

Le gouvernement composé de 66 membres du cabinet a été installé le 6 septembre 2019. Il était issu de l'accord de partage du pouvoir avec l'ancien président Joseph Kabila. Mais dans cette équipe gouvernementale, la majorité des postes ministériels étaient tenus par des partisans de Kabila.

Ce dernier, qui a dirigé le Congo pendant 18 ans avait gardé le contrôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement, issu de la majorité parlementaire, après le scrutin présidentiel de décembre 2018.

Le Front commun pour le Congo (FCC), parti du "président honoraire" et sénateur à vie, Joseph Kabila, était sorti majoritaire des élections législatives et provinciales de 2018, puis des élections sénatoriales de 2019.

Le nouveau Président Félix Tshisekedi s'était donc allié avec son prédécesseur. Mais près des mois de tensions persistantes au sein de la coalition FCC-CACH (Cap pour le changement, alliance entre Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe), le chef de l'Etat avait finalement décidé de mettre fin à cette alliance début décembre.

Dans un discours télévisé, M. Tshisekedi a déclaré qu'il allait nommer un informateur pour construire une nouvelle majorité de coalition à l'assemblée nationale, dominée par les partisans de son prédécesseur.

Aux mois de décembre, les députés du nouveau bloc présidentiel ont voté la destitution de la présidente de l'Assemblée, la députée Jeanine Mabunda et de son bureau. Un changement à la tête de l'institution qui a marqué une prise de contrôle par le président et son camp. Mais il restait à prendre le contrôle du gouvernement dont quarante-deux des 65 membres, soit deux tiers des postes ministériels, étaient issus du FCC.

La voie est ouverte avec la démission du Premier ministre et la destitution du gouvernement.

"La motion rend démissionnaire le gouvernment et son Premier ministre une fois qu'elle est votée, mais l'article 78 de la Constitution dispose qu'il faut que le Premier ministre présente sa démission pour que le reste du scénario de son remplacement puisse s'enclencher", précise Maitre Kodjo Ndukuma, professeur de droit et de régimes politiques comparés.

C'est chose faite aujourd'hui.

Pourquoi est-ce important ?

Le vote de la motion de censure "est synonyme de victoire d'étape pour Felix Tshisekedi", juge Arthur Malu-Malu, journaliste et auteur congolais.

Avec ce vote et la démission de Sylvestre Ilunga Ilunkamba, l'ex-Président Kabila perd totalement le contrôle du gouvernement congolais.

"C'est le dernier acte qui consacre la fin de la coalition FCC-CACH et la rupture totale entre le président et son ancien partenaire, le président honoraire Joseph Kabila", déclare Christian Moleka, analyste politique.

Le CACH (Cap pour le changement) constitue l'alliance entre Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe et le Front commun pour le Congo (FCC) est le parti de l'ex-président Kabila.

Le vote des parlementaires issus de la recomposition de la majorité présidentielle marque également "la venue d'un nouveau gouvernement qui sera assis sur la nouvelle configuration parlementaire : la majorité union sacrée ouverte à Bemba et Katumbi et certainement l'isolement de son ancien partenaire qui va aller à l'opposition", pour Christian Moleka.

Quels sont les enjeux ?

Pour les analystes la recomposition du gouvernement va permettre à Félix Tshisekedi de pouvoir mettre en œuvre son agenda politique.

"Félix Tshisekedi a un avantage certain sur son adversaire Joseph Kabila qui peu à peu perd le contrôle des institutions de la République", observe Arthur Malu-Malu.

"Le président [Tshisekedi] aura plus de marges de manœuvre. Il était étouffé dans toutes ses initiatives, d'autant plus qu'il n'avait pas la majorité au sein de l'Assemblée nationale où se joue quasiment tout", explique-t-il.

"Il ne contrôle pas encore le Sénat mais l'Assemblée nationale est suffisante pour faire passer un certain nombre de réformes auxquelles il tient dont la réduction du train de vie de l'Etat et la réduction de la taille du gouvernement", ajoute le journaliste.

Avec la prise en main de l'Assemblée nationale en décembre et maintenant du gouvernement, est-ce la fin de la partie d'échec en Kabila et Tshisekedi ?

Rien n'est moins sûr pour les analystes.

"Le bras de fer se poursuit et on ne sait pas trop quelle en sera l'issue. A court terme, Felix Tshisekedi est en très bonne posture pour l'emporter sur Joseph Kabila", estime Arthur Malu-Malu.