Burundi : Rwasa prend le contre-pied de Ndayishimiye sur plusieurs sujets
Politique

RFI, 21/07/2021

Agathon Rwasa: «Le dialogue avec l'UE risque de soutenir un régime qui tord le cou à ses citoyens»

 Il y a un peu plus d'une semaine, le président burundais Evariste Ndayishimiye était l'invité exclusif de RFI et France 24. Une première pour de grands médias internationaux depuis son accession au pouvoir, il y a un peu plus d'un an. Ouverture, dialogue politique avec l'Union européenne, opposition, économie... le général Ndayishimiye s'était exprimé sur plusieurs sujets. Aujourd'hui, son principal opposant et président du parti CNL, Agathon Rwasa (photo), réagit au micro de RFI et prend le contre-pied de Ndayishimiye sur tous les sujets.

RFI : Une année après l’élection de 2020 qui a porté à la tête de l’État burundais le général Évariste Ndayishimiye, le pays est en train de sortir de son isolement. C’est, aux yeux des autorités burundaises, le signe que le pays a déjà tourné la page de la crise de 2015 -c’est ce qu’ils disent- quelle est votre avis ?

Agaton Rwasa Mon avis est que la crise de 2015 perdure, parce que la répression et la persécution de l’opposition battent toujours leur plein. L’enjeu étant que, pour se maintenir au pouvoir, il faut entretenir une violence d’État.

À ce propos, justement, le président Ndayishimiye a engagé un dialogue politique avec l’Union européenne, en vue de la levée des sanctions budgétaires qui ont été prises au plus fort de la crise. Qu’est-ce que vous attendez de ce dialogue ?

Oui, c’est à encourager… Mais on se pose la question de savoir quelle sera l’aboutissement, lorsqu’il n’y a pas de dialogue entre les Burundais eux-mêmes. Nous avons peur que la résultante de ce dialogue entre l’Union européenne et le Burundi ne risque de devenir ou de soutenir un régime qui tord le cou à ses citoyens.

Selon vous, en l’état, est-ce l’Union européenne doit lever ou maintenir les sanctions contre le gouvernement du Burundi ?

Si les sanctions ont été prises pour des raisons liées à la violation des droits de l’homme, qu’est-ce qui se passe actuellement lorsque les disparitions sont toujours monnaie courante… Les gens sont tués ici et là comme si de rien n’était et sans qu’il n’y ait justice pour les victimes.

Le Burundi a été classé pays le plus pauvre du monde en 2020, selon la Banque mondiale. Les chiffres que le président Évariste Ndayishimiye a balayé d’une main, en dénonçant une manipulation par les détracteurs du pays. Que lui répondez-vous ?

Si les chiffres placent le Burundi dernier, il faudrait les réfuter par des chiffres. Je me dis que, si le général Ndayishimiye pouvait se mettre dans la peau des citoyens Lambda, il aurait tourné la langue deux fois, trois fois - je ne sais pas combien de fois - avant de répondre à cette question. En fait, lui il a tout, il n’a aucun souci… Cependant, deux millions de Burundais croupissent dans une misère abjecte.

L’une des exigences de l’Union européenne, c’est le respect des droits de l’homme. Est-ce que, selon vous, la situation a évolué dans le bon sens, depuis une année que le général Évariste Ndayishimiye est au pouvoir ?

Pas du tout. La situation n’a pas du tout évolué dans le bon sens et le général Ndayishimiye le sait très bien. Dans une lettre que lui a adressée la Ligue Iteka - une ligue des droits de l’homme -le 18 juin dernier, il est fait mention de 554 tués, dont 250 cadavres retrouvés ici et là et enterrés à la va-vite, sans enquête, ni identification des victimes depuis qu’il est au pouvoir. De plus, Ndayishimiye, dans sa gestion de la chose publique, discrimine le parti du CNL, comme si on n’était pas des Burundais comme les autres.

Interrogé sur les arrestations arbitraires qui viseraient les militants de votre parti, le CNL, Évariste Ndayishimiye a expliqué qu’il faut plutôt parler de criminels qui se cachent derrière les partis politiques. Quelle est votre réaction ?

Les pseudo-criminels, militants et sympathisants, ainsi que tous citoyens qui sont victimes des abus et qui disparaissent comme ça, cache très mal le sadisme et le cynisme de celui qui a tenu ces propos. Quand bien même le président est le magistrat suprême de par la Constitution, il ne devrait pas oublier que tout citoyen a droit à un procès équitable devant les juridictions compétentes. Or, tous ceux qui disparaissent ne comparaissent nulle part. Ils sont arrêtés, certains au grand jour, d’autres dans des circonstances obscures et par des personnes non habilitées, et on ne les retrouve plus. Donc, dire que ce sont des criminels, alors que la culpabilité n’a pas été établie par une cour ou un tribunal, c’est quand même quelque chose de révoltant !

Le Burundi est également pointé du doigt pour un niveau de corruption très élevé. A ce propos, Évariste Ndayishimiye a déjà pris quelques mesures, des mesures qui ont été saluées. Mais la société civile s’est inquiétée du fait que, ceux qui sont arrêtés pour corruption, sont ensuite relâchés, après avoir payé les sommes qu’on leur réclame dans des circonstances plutôt opaques. C’est ce que Ndayishimiye a confirmé sur RFI. Quel est votre avis ?

Nous semblons plutôt assister à une scène où nous avançons d’un pas, alors qu’on recule de deux pas. Pourquoi est-ce que le général Ndayishimiye a cautionné la violation de la Constitution de la République du Burundi, notamment en ses articles relatifs à la déclaration de patrimoine ? Lui-même n’a pas fait cette déclaration, alors que c’est une exigence constitutionnelle. Et plus tard, il a dit que le patrimoine de tout un chacun est un secret et que cela n’avait aucun sens que les uns et les autres déclarent le patrimoine. C’est une exigence constitutionnelle. Il est le garant de la Constitution et des lois burundaises. Pourquoi il est le premier à violer cela et dire maintenant qu’il va combattre la corruption ? Comment est-ce que l’on va savoir si la richesse de tel ministre est une richesse qu’il a acquis honnêtement ou pas ?