Burundi : les hommes du très secret président Évariste Ndayishimiye
Politique

Jeune Afrique, 17 octobre 2021

Alors que Gitega fait son retour sur la scène diplomatique, le chef de l’État continue d’asseoir son pouvoir, au milieu des luttes de clans. Pour s’affirmer, à l’extérieur comme à l’intérieur du pays, il s’appuie sur une poignée d’anciens maquisards du CNDD-FDD et de technocrates. Voici sa garde rapprochée.

La majorité des plus fidèles collaborateurs du président burundais, Évariste Ndayishimiye, porté au pouvoir en mai 2020, sont des militaires. Des « compagnons d’armes », qui ont servi dans le maquis où ils se sont rencontrés au lendemain de l’assassinat du président Melchior Ndadaye, en 1993. Ils sont tous de la même génération, presque tous nés la même année et ont gravi ensemble les marches du pouvoir au sein des Forces de défense de la démocratie (FDD) d’abord, puis de son versant politique ensuite, le Conseil national de la défense pour la démocratie – Force de défense de la démocratie (CNDD-FDD), constitué en 2004 pour porter Pierre Nkurunziza à la présidence l’année suivante.

Comme Évariste Ndayishimiye qui lui a succédé en mai 2020, la plupart ont d’ailleurs accompagné au plus près l’ancien chef de l’État – décédé en juin 2020 –, pour former au fil de ses quinze années de règne une caste de « généraux » qui accaparent les postes de pouvoir dans le pays. C’est en son sein que se trouvent aujourd’hui les meilleurs soutiens de l’actuel président, ainsi que ses seuls véritables adversaires, comme le Premier ministre Alain-Guillaume Bunyoni. Face à ceux qui goûtent assez peu sa décision de plus en plus affichée de renforcer la lutte contre la corruption pour séduire la communauté internationale, Ndayishimiye sait pouvoir compter sur son premier cercle.

« Ce n’est pas véritablement un homme de réseau », prévient un diplomate en poste à Bujumbura. Ou alors d’un seul, celui du CNDD-FDD qu’il a repris en main de 2015 à janvier 2021, et où il recrute ceux qui l’entourent, par amitié sincère, carriérisme, opportunisme ou par simple discipline de parti. Maquisards d’hier, civils et administrateurs d’aujourd’hui… tous sont au service d’un CNDD-FDD plus puissant et mystérieux que jamais.

Prime Niyongabo

Né en 1970 sur une colline voisine de celle du président, il quitte la faculté d’économie de Bujumbura pour rejoindre les FDD dès 1993. L’amitié entre les deux hommes grandit dans le maquis et Évariste Ndayishimiye est témoin du mariage de Prime Niyongabo, au lendemain de la guerre civile. L’ancien guérillero devient alors officier de carrière et grimpe les échelons de la hiérarchie militaire jusqu’à devenir chef d’état-major de l’armée en 2012.

Réputé intègre et compétent, le général-major Prime Niyongabo peut compter sur le soutien de ses troupes qui apprécient sa volonté de professionnaliser l’armée tout en la tenant à l’écart des crises politiques qui secouent le pays. Légaliste avant tout, il a été tenté durant un temps de suivre les putschistes en 2015, avant de rester fidèle à Pierre Nkurunziza. Il n’a par la suite joué aucun rôle lors la répression qui a suivi.

Gabriel Nizigama

Également né en 1970, il vient de la même colline qu’Évariste Ndayishimiye, avec qui il a peut-être des liens familiaux. Il rejoint la rébellion en 1995, en même temps que son professeur à l’Institut d’éducation physique de Bujumbura, Pierre Nkurunziza. Il y gagne le surnom de « Tibia », comme ceux qu’il aimait casser lors de certains interrogatoires. Lieutenant-général à la fin du conflit, il est également commissaire de police et prend la tête du ministère de la Sécurité publique à partir de 2013.

Toujours très proche du président Nkurunziza, il devient son chef du cabinet civil deux ans plus tard. Poste qu’il conserve donc avec Évariste Ndayishimiye qu’il a ouvertement soutenu contre l’avis du chef de l’État. À l’heure d’organiser sa succession, ce dernier souhaitait désigner Pascal Nyabenda, le président de l’Assemblée nationale.

Gabriel Nizigama ne voulait surtout pas se ranger aux côtés de son ennemi déclaré, Alain-Guillaume Bunyoni, l’actuel Premier ministre, qui soutenait la candidature de Nyabenda. Il aurait même refusé d’entrer dans son gouvernement. Un différend qui pourrait être lié à certaines rivalités dans le monde des affaires, pas toujours très claires au Burundi. Réputé très proche des intérêts chinois, Gabriel Nizigama est loin d’être perçu comme le plus ardent défenseur de la politique de transparence que souhaite mettre en place l’actuel président.

Gervais Ndirakobuca

Encore un membre du premier cercle présidentiel né en 1970. Lui aussi a quitté les bancs de la faculté des Sciences de Bujumbura, pour rejoindre les FDD dès 1993. Fidèle à ses chefs qui apprécient son efficacité, il se fait vite un nom au sein de la rébellion : Ndakugarika – « Je vais te tuer », en kirundi. Il réalise ensuite toute sa carrière, jusqu’en 2012, au sein de la police nationale, de commissaire à directeur-général adjoint.

Il est nommé à la tête du sinistre Service national de renseignement suite à la tentative de coup d’État de 2015 et dirige la répression des putschistes. Il est d’ailleurs toujours sous le coup de sanctions de la part de l’Union européenne (UE). Homme de main de Nkunrunziza, Gervais Ndirakobuca n’a jamais été particulièrement proche d’Evariste Ndayishimiye. Il aurait même accepté un ministère pour mieux surveiller ce dernier de l’intérieur, au nom des intérêts du CNDD-FDD et de son allié Alain-Guillaume Bunyoni.

Sauf que les jeux d’alliance évoluent et que le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité se rapproche au fil des mois du président. Au point d’apparaître aujourd’hui comme son meilleur atout, notamment dans la lutte contre la corruption que l’actuel numéro trois du gouvernement semble soutenir à bout de bras.

Albert Shingiro

À 48 ans, Albert Shingiro connaît parfaitement la maison dont il a pris les rênes en juin 2020. Après quelques années d’études au Canada, ce diplomate de formation et de carrière a occupé de nombreux postes depuis 2006, tant dans l’administration centrale que dans différents postes extérieurs. Il a notamment travaillé aux États-Unis, en tant que conseiller et chargé d’affaires auprès des Nations unies puis, comme ambassadeur permanent de 2014 à 2020.

Il devient alors le porte-voix de son pays sur la scène internationale. Sa nomination vient donc récompenser une carrière toute entière consacrée à son pays et à ses dirigeants. Après avoir servi Pierre Nkurunziza, il a su gagner la confiance d’Évariste Ndayishimiye. Appréciant sa verve, ce dernier lui a confié son agenda diplomatique, du rapprochement avec le Rwanda à la reprise du dialogue avec l’UE. Le président sait compter sur sa loyauté envers les dirigeants du CNDD-FDD, dont Albert Shingiro est membre depuis 2004.

Domitien Ndihokubwayo

Anthropologue de formation, il a également étudié l’économie politique en Allemagne. Ce civil, né en 1966, a été consultant à la Banque africaine de développement (BAD) puis doyen de la faculté de droit de Bujumbura, avant de prendre la tête du très stratégique Office des recettes du Burundi (OBR). C’est là que vient le chercher Pierre Nkurunziza en 2016, pour lui confier le ministère de l’Économie et des Finances.

Malgré sa très grande proximité avec l’ancien président, lui aussi a donc conservé ses fonctions à l’arrivée au pouvoir de Ndayishimiye. S’il n’est pas un intime du président, il en est aujourd’hui la caution économique, même si ses compétences en la matière peuvent parfois être remises en cause par certains représentants des grandes institutions financières présentes dans le pays.

Révérien Ndikuriyo

Lui aussi est né en 1970 dans le sud du pays et est entré au maquis dès 1993. De cette période, il lui reste une blessure à la jambe qui le fait encore boiter, ainsi qu’une réputation de butor. Démobilisé après les accords de paix, Révérien Ndikuriyo est un temps gouverneur de province dans le sud, avant d’accéder à la présidence du Sénat en 2015. Il ne quitte ses fonctions que pour succéder à Évariste Ndayishimiye à la tête du CNDD-FDD, parti dont l’emblème est un aigle.

Choisi par l’actuel président, il est aujourd’hui sa principale courroie de transmission avec cette formation. Adepte de la ligne dure avec les frondeurs de 2015, il a su tempérer son discours pour préserver l’unité du CNDD-FDD autour de son chef, à qui il apporte également des soutiens importants dans le sud du pays. Il sait aussi faire passer les messages entre la présidence et les « généraux », au nom des vieilles amitiés.

Gélase Daniel Ndabirabe

Comme Révérien Ndikuriyo, Gélase Daniel Ndabirabe passe pour un dur du CNDD-FDD auquel il adhéré dès sa création, après avoir intégré les FDD en 1994, après un court passage au Rwanda. Né en 1973, ce beau parleur devient le haut-parleur des FDD pendant toute la guerre civile, qu’il termine démobilisé avec le grade de colonel.

Il aurait servi dans les maquis du sud avec Ndayishimiye, avant d’être exfiltré en Tanzanie pour servir dans l’intendance. Sa brutalité verbale l’a empêché de faire l’unanimité au sein du parti, hier comme aujourd’hui. Le chef de l’État peut néanmoins compter sur lui pour donner de la voix, lorsqu’il s’agit de recadrer les membres du CNDD-FDD comme les débats de l’Assemblée nationale.

Par Olivier Caslin