Guinée : Premier scrutin présidentiel libre et démocratique de l'histoire
Afrique

@rib News, 28/06/2010 – Source Reuters

La Guinée a voté dimanche pour la première élection présidentielle libre et démocratique depuis l'accession à l'indépendance en 1958. Les 24 candidats sont tous issus de la classe politique civile. Le scrutin s'est déroulé sans anicroche hormis quelques petits problèmes logistiques, ont estimé lundi les observateurs internationaux.

La participation a atteint près de 80% dans cette ancienne colonie française de l'Afrique de l'Ouest qui a vécu sous la dictature de Sékou Touré de 1958 à 1984, puis sous le régime militaire du général Lansana Conté jusqu'à sa mort en 2008.

"Les gens ont du mal à croire que les choses se soient aussi bien déroulées pour le moment", a commenté un diplomate occidental en poste à Conakry, estimant que ce scrutin pourrait attirer les investisseurs dans le pays, premier exportateur mondial de bauxite.

Les habitants ont respecté l'interdiction de rassemblements publics le jour du scrutin et aucun trouble n'a été signalé au cours de la nuit.

Les 24 candidats en lice, tous des civils, et leurs partisans attendent maintenant les résultats préliminaires que la commission électorale devrait publier mercredi.

Compte tenu du nombre de candidats, il est peu probable qu'un vainqueur émerge de ce premier tour et une seconde consultation électorale sera probablement nécessaire le 18 juillet pour départager les prétendants.

Les observateurs de l'Union européenne, de l'Union africaine, de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) et du Centre Carter installé aux Etats-Unis devraient rendre leur premier rapport d'étape dans les prochains jours.

"DÉFIS GIGANTESQUES"

Sans attendre les conclusions des observateurs, les Etats-Unis ont salué le bon déroulement du scrutin.

"Sur la base des évaluations d'observateurs locaux, internationaux et de notre propre mission d'observation, l'ambassade des Etats-Unis pense que l'élection s'est extraordinairement bien passée", peut-on lire dans un communiqué diffusé par l'ambassade américaine à Conakry.

"Il y a bien sûr eu quelques problèmes techniques importants dans des bureaux de vote, en particulier dans le Nord", a reconnu Alexander Graf Lambsdorff, chef de la mission d'observateurs de l'UE.

"Mais les Guinéens ont saisi cette occasion de choisir l'avenir de leur pays en désignant leur dirigeant d'une manière libre et équitable. Nous verrons ce qu'il se passera dans les prochains jours", a déclaré Lambsdorff sur RFI.

Dans le nord du pays, certains électeurs ont découvert en arrivant dans les bureaux de vote que leur nom ne figurait pas sur les listes électorales, a encore indiqué Lambsdorff, sans préciser si cela pouvait avoir un impact sur la crédibilité des résultats.

Cet optimisme doit toutefois être tempéré par la situation de la capitale, Conakry, où les infrastructures sont en ruines et une grande partie de la population vit sans électricité et sans eau courante.

"Les défis sont gigantesques", a estimé Said Djinnit, émissaire du secrétaire général de l'Onu, Ban Ki-moon, pour l'Afrique de l'Ouest.

"Le nouveau gouvernement devra reconstruire l'Etat et ses infrastructures, rétablir les bases de l'économie et s'engager dans un processus de réconciliation", a-t-il dit dimanche soir.

Après la mort de Lansana Conté qui a laissé un vide politique, la Guinée a vécu une période chaotique marquée par une répression militaire sanglante qui avait fait plus de 150 morts en septembre de la même année.

Quelques semaines plus tard, le chef de la junte, le capitaine Moussa Dadis Camara, avait été blessé dans une tentative d'assassinat et ses successeurs avaient promis de rendre le pouvoir aux civils.

VOLONTÉ DE TOURNER LA PAGE

Du déroulement et de l'issue de la consultation électorale dépendra l'avenir économique du pays, très pauvre malgré l'immense richesse de son sous-sol. Il pourrait aussi avoir des répercussions au-delà des frontières de la Guinée et servir d'exemple à une Afrique de l'Ouest marquée ces derniers temps par une série d'élections reportées ou controversées et de coups d'Etat.

Les Guinéens espèrent tourner la page d'une période très troublée depuis la mort de Lansana Conté fin 2008.

Le pays est encore sous le choc de la fusillade du 28 septembre 2009 dans un stade qui a coûté la vie à plus de 150 personnes manifestant contre la junte dirigée par le capitaine Dadis Camara. Selon un rapport de Human Rights Watch, cette fusillade avait été orchestrée par la junte.

Deux mois plus tard, Camara était grièvement blessé à la tête par son aide de camp. Le n°2 de la junte, le général Konaté, a alors entamé le processus de retour à un régime civil.

En février 2010, un gouvernement provisoire regroupant des responsables civils militaires et dirigé par Jean-Marie Doré, personnalité d'opposition, a été mis en place.

La plupart des observateurs étrangers s'accordent à dire qu'il y a une volonté d'organiser un scrutin pacifique mais que les partisans de candidats évincés risquent de causer des troubles à l'annonce des résultats.

Les dirigeants de grands partis tels que le Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) d'Alpha Condé ou l'Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo estiment que leur heure est venue, note le politologue guinéen Youssouf Sylla.

S'ils ne l'emportent pas dans les urnes, la déception de leurs partisans risque de dégénérer en violences, poursuit-il.

La campagne électorale a été elle relativement paisible, même si six personnes ont été tuées cette semaine dans des incidents entre groupes politiques rivaux à Coyah, une localité située à 50 km de Conakry.

Les observateurs estiment qu'il est peu probable qu'un candidat l'emporte au premier tour. Un second tour devrait dès lors opposer le 18 juillet les deux personnalités arrivées en tête.

Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo font figures de favoris. Tous deux appartiennent à des ethnies bien représentées en Guinée - respectivement Malinké et Peul.

Les résultats ne sont pas attendus avant mercredi.