Burundi : La pénurie de carburant fait monter la colère et menace le pouvoir
Sécurité

La Libre Afrique, 4 août 2022

« Rien ne fait aussi peur qu’une population sans espoir. Prenez au sérieux cette situation”. Cette mise en garde émane d’une note du service de renseignement national burundais qui circule ces derniers jours entre les mains des hauts-gradés de l’armée qui la prennent très au sérieux.

Dans la même note, les auteurs rapportent que plusieurs jeunes officiers pourtant proches du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, disent ouvertement qu’il ne faudra pas compter sur eux si la situation venait à se détériorer. “Qu’ils ne nous envoient pas tirer sur la population. La population a faim or les autres (généraux) ne voient pas, n’entendent pas cette misère sans nom”.

Depuis des mois, la situation sociale ne cesse de se détériorer au Burundi. Au centre de cette crise majeure, une terrible pénurie de carburant. Du coup, les responsables politiques tentent de faire porter le chapeau à Taruk Bashir, homme d’affaires d’origine indo-pakistanaise, né au Burundi et disposant de la double nationalité tanzanienne et burundaise.

Pendant des années, avec le soutien du précédent président Pierre Nkurunziza, l’homme, aujourd’hui âgé de 71 ans, cadet d’une fratrie de trois frères, disposant d’une flotte estimée à près de 600 camions, des sites de stockage et des stations-service dans tout le pays, mais aussi en Zambie et dans l’est de la République démocratique du Congo, a disposé d’un quasi-monopole dans l’importation du carburant. “On estime qu’il gérait 90% de limportation et de la distribution du carburant au Burundi. C’est un empire d’une capacité financière exceptionnelle”, explique un acteur économique burundais.

“Trop grand pour ne pas faire d’envieux”

Pierre Nkurunziza disparu, son successeur sur le trône burundais, Évariste Ndayishimiye, fait pression sur l’homme d’affaires peu enclin à céder aux menaces.

Malgré sa capacité financière, Taruk Bashir doit passer par la Banque centrale du Burundi pour obtenir les devises – très rares – qui lui permettront de continuer à acheter son carburant. Le pouvoir burundais restreint fortement la quantité de dollars alloués au réseau de la société Interpétrole de Bashir.

Parallèlement, des hommes proches du pouvoir sont alimentés en dollars pour tenter de concurrencer l’empire de Taruk Bashir. “Ils ont reçu les dollars, mais ne disposent pas de la flotte de camions, ni des capacités de stockage de la société Interpétrole. Du coup, les frais d’acheminement du pétrole vers le marché burundais explosent”, explique une source à Bujumbura. “Plus de 30% daugmentation en six mois et, surtout, les quantités ne suivent pas. Ces augmentations à la pompe ne dépendent pas de la crise en Ukraine mais bien de lamateurisme du pouvoir”.

Crainte du pouvoir

Face à cette pénurie, le “petit peuple” burundais (selon l’expression locale pour parler des classes populaires) trinque.

Depuis le 21 mars, les mototaxis sont interdits dans Bujumbura. Officiellement parce qu’ils sont la cause de nombreux accidents. “Faux”, rétorque notre source. “Face à la hausse des prix du carburant, face à la pénurie, le régime a peur de la grogne de ces motards qui sont approximativement 20000 rien qu’à Bujumbura. Il sagit donc d’éloigner la menace potentielle.

L’ancienne capitale, frondeuse vis-à-vis du pouvoir du CNDD-FDD, est vue comme un danger par les autorités qui ne parviennent pas à compenser l’interdiction de ces véhicules “bon marché” par une offre de transports publics. “Tout au plus, estime-t-on qu’il y a 5% de bus en plus, mais 30 à 40% de ces véhicules sont constamment bloqués devant les stations-service en attente dun hypothétique plein dans les immenses files où il nest pas rare de passer près de 48 heures, continue notre interlocuteur, avec force images de files de véhicules ou de… réservoirs de moto qui jonchent le sol.

Seule parade dès lors pour se rendre au travail: la marche. Des milliers de Burundais doivent parcourir de longues distances matin et soir pour se rendre au travail sans espoir dun lendemain plus souriant.

“La tension est palpable. Les craintes évoquées dans la note du SNR ne sont pas excessives”, ajoute un interlocuteur de Bujumbura.

Le régime d’Évariste Ndayishimiye est sous haute pression. “Il suffirait d’une étincelle”, poursuit un habitant de l’ancienne capitale qui a vécu ce début de semaine une “scène révélatrice” quand un général accompagné de son service de sécurité a tenté de se frayer un chemin pour accéder sans faire la file à une station-service. “La colère est montée d’une fois, le général et son escorte n’ont eu d’autre choix que de quitter les lieux sans passer par la pompe”, raconte ce témoin qui voit dans cet épiphénomène la démonstration évidente de la colère d’une population prête à en découdre avec le pouvoir qui, lui, n’a pas les moyens de faire retomber cette pression…

Hubert Leclercq