Burundi : Jusqu’où ira la mafia militaire au pouvoir ?
Politique

La Libre Afrique, 28 septembre 2022

 L’Union européenne se prépare à lever les sanctions individuelles contre le nouveau Premier ministre Gervais Ndirakobuca, alors que son gouvernement  jette une avocate en prison pour faire pression sur son client pour une histoire de gros sous

Depuis le 1er avril dernier, près de six mois jour pour jour, le docteur Christophe Sahabo croupit dans une cellule de la prison centrale de Bujumbura.

Depuis ce mercredi 28 septembre, il a été rejoint derrière les barreaux par son avocate, Me Sandra Ndayizeye, et son frère cadet Étienne Sahabo. Leurs crimes? Officiellement, ils seraient parvenus à contraindre les actionnaires de lhôpital Kira, institution privée au centre de tout ce dossier, à signer un P.V. lors de lassemblée générale du lundi 26 septembre. Un document qui démet le directeur ad interim imposé par le pouvoir des militaires burundais sans l’aval des actionnaires, et confirme que le docteur Christophe Sahabo, malgré son incarcération, demeure le vrai patron de cet hôpital privé, et “assure la gestion administrative et financière de la société”. “Avec ce P.V. les actionnaires de l’hôpital bloquent toute fuite des capitaux, au grand dam de la mafia des généraux au pouvoir qui veulent se servir dans les caisses de l’établissement”, explique un proche du dossier.

Un président n’est pas l’autre

Ophtalmologue burundais formé en Suisse, Christophe Sahabo est rentré dans son pays en convainquant quelques investisseurs de se lancer dans la création et la gestion d’un hôpital à Bujumbura.

Le 3  mars 2015, le président de la République de l’époque, Pierre Nkurunziza inaugurait les lieux en grande pompe et la capitale économique du pays disposait enfin d’un hôpital moderne aux normes internationales.

Depuis cette date, la donne a bien changé. Le président Nkurunziza est décédé. Son successeur, Évariste Ndayishimye, alias Neva, a vite compris que les fonds publics censés être investis dans cet hôpital ont en réalité servi à la campagne électorale de son prédécesseur. Aucun retour n’est donc possible sur… un non-investissement dans un hôpital qui fonctionne bien et attire de nombreux patients congolais qui viennent s’y faire soigner et paient en dollars américains. Un véritable Graal dans ce pays en perpétuelle quête de devises.

Du coup, le pouvoir fait pression sur le directeur. Tentative de chantage et de racket. Mais le docteur Sahabo n’est guère “coopérant”, il est donc envoyé en prison. Deux mois et demi après son incarcération à la prison centrale de Bujumbura, le pouvoir ne trouve toujours aucun élément pour l’inculper et décide d’entamer un audit sur la gestion de l’hôpital.

Aujourd’hui, le docteur Sahabo refuse toujours de céder. Le pouvoir est donc passé à la vitesse supérieure en arrêtant son frère et son avocate “sous des prétextes fallacieux qui ne trompent personne ici”, explique un habitant de Bujumbura qui rappelle: “Il ne faut jamais perdre de vue que les hommes qui sont au pouvoir viennent du maquis. Ils ne connaissent que la violence pour s’imposer”.

Un autre habitant de Bujumbura insiste sur la dérive de “ce pouvoir qui n’hésite plus à arrêter des avocats qui font simplement leur travail”.

Levée des sanctions européennes

Dans ce contexte de fuite en avant, l’Union européenne devrait annoncer dans les prochaines heures… la suspension des sanctions individuelles contre le nouveau Premier ministre, désigné le 7 septembre dernier, Gervais Ndirakobuca. “Une initiative incompréhensible” pour les Burundais qui acceptent d’évoquer le sujet avec précaution. “C’est sous son gouvernement qu’on bafoue les lois les plus élémentaires et l’Europe le félicite en levant des sanctions. Le message est incompréhensible et très inquiétant”.