Burundi : Le business des missions humanitaires
Sécurité

La Libre Afrique, 5 octobre 2022

Vingt pour cent 20% des troupes burundaises sont engagées dans ce type de mission.

La crise est aussi passée par là! Le business est moins juteux mais les autorités burundaises entendent bien continuer à louer les bras de leurs militaires aux missions de maintien de la paix déployées en Somalie (ATMIS – qui a succédé à la mission Amisom) et en République centrafricaine (Minusca).

Au total, ce sont entre 5000 et 5400 militaires burundais qui sont envoyés sur ces deux fronts. Un chiffre qui représente la bagatelle de 20% des effectifs du pays qui comptent 25000 hommes.

Pour les militaires burundais, même si la situation s’est dégradée au fil des ans – baisse des budgets, rabotage des primes et paiement en francs burundais et plus en dollars américains – ces missions ont longtemps été synonymes de “belles rentrées” pour les hommes de la troupe qui voyaient leur salaire multiplié parfois par dix. De quoi motiver les militaires à jouer des coudes pour être repris sur la liste des “sélectionnés”.

“Évidemment, au Burundi, tout a un prix”, explique un connaisseur du dossier. Pour être parmi les élus, il faut accepter de “lâcher” une partie du salaire au “sélectionneur”. Dans ce rôle, le général Prime Niyongabo, chef d’état-major de l’armée burundaise.

Au milieu des années 2010, le salaire mensuel était de 1 000 dollars sur lesquels le pouvoir prélevait 200 dollars. Avec 800 dollars, le militaire burundais était un privilégié qui pouvait contracter des prêts, acheter une maison et même, parfois, investir dans des motos-taxis qui leur rapporteront un complément de salaire.

Un million de dollars par mois

Aujourd’hui, le marché est moins lucratif pour les militaires. Le salaire a d’abord été ramené à 800 dollars (“avec le même montant de 200 dollars prélevé par le chef d’état-major”, explique un ancien militaire) avant que, sur base d’une décision de la banque nationale burundaise, cette mensualité soit désormais payée en francs burundais, “ce qui représente approximativement une perte de 40 % du revenu”, poursuit-il.

Pour le premier cercle du pouvoir, l’envoi de ces troupes dans ces missions est doublement bénéfique. D’abord parce que les “prélèvements” sur les salaires représentent minimum un million de dollars par mois. Ensuite, parce qu’il garantit une certaine docilité du militaire burundais qui tient à cette rente. Une situation qui a enrichi les généraux et stabilisé leur pouvoir mais qui, aujourd’hui, n’est plus aussi évidente. Les militaires qui ont participé à plusieurs missions ont vu fondre leurs avantages, tandis que les crédits restent.

N’hésitant pas à profiter de toutes les rentrées, le pouvoir burundais se sert aussi sur les montants accordés pour un militaire tombé au front. En 2015, les familles d’un défunt touchaient 50000 dollars. Le pouvoir a ensuite ponctionné 50% de la somme. “Aujourd’hui, souvent, les familles ne sont pas prévenues de la mort d’un des leurs”, explique l’ex-soldat qui raconte comment les militaires versent encore plus facilement dans le marché noir lors de leurs missions pour “compenser” la perte de revenus. “C’est ainsi que des djihadistes sont entrés le 3 mai 2022 dans une caserne en Somalie en se faisant passer pour des acheteurs d’essence au noir. Bilan, entre 60 et 120 morts dans des explosions. Aucun chiffre officiel. Le pouvoir se tait.”

Hubert Leclercq