Le Burundi fait encore et toujours face à des pénuries d’essence
Economie

The France 24 Observers21/02/2023

"Il n’y a plus une goutte" : au Burundi, une énième pénurie d’essence paralyse le pays

Des files d’attente interminables pour un service incertain une fois arrivé à la pompe : depuis le 11 février, les Burundais font face à des pénuries d’essence, pour la quatrième fois depuis novembre 2022. Une situation qui découle notamment des conséquences économiques de la crise politique que traverse depuis 2015 ce petit pays d’Afrique centrale, considéré comme l'un des plus pauvres au monde. 

Des photos et des vidéos, prises à Bujumbura, la capitale économique burundaise, mais aussi d’autres villes, montrent des files d’attente pour accéder aux stations-service depuis le 11 février. Certains usagers se plaignent de devoir passer des heures à attendre, comme le rapporte le site d'actualité Iwacu. 

Peu à peu au cours de la semaine du 13 février, l’ensemble des stations du pays se sont retrouvées à sec, comme en témoignent des images de stations-service totalement désertées. 

“Les Burundais finissent par être habitués”

Eloge Willy Kaneza est coordinateur du collectif de journalistes indépendants SOS Médias Burundi.

« Il n’y avait plus rien, plus une goutte dans les stations, les pompes étaient vides. C’est récurrent ici, on a des carences d’essence. Depuis novembre, c’est arrivé à trois reprises... Les Burundais finissent par être habitués à cette situation. Un temps, Bujumbura a été alimenté et pas le reste du pays, mais la semaine dernière c’était pareil partout. 

A partir du 17 février, la situation s’est légèrement améliorée, on pouvait trouver ici et là quelques quantités à injecter dans les réservoirs. Mais ça reste aujourd’hui encore très compliqué, il n’y a que la capitale économique Bujumbura qui reçoit les produits pétroliers avant de les donner au reste des provinces. »

Face à la récurrence des pénuries, le gouvernement burundais a décidé de confier l'approvisionnement en essence à la Regideso, société publique en charge de la distribution de l’eau et de l’électricité. Les autorités avaient ainsi l’espoir d’avoir davantage le contrôle sur les approvisionnements.

Une décision qui n’a jusqu’ici pas porté ses fruits, note Faustin Ndikumana, économiste, à la tête de l'association Parole et action pour le réveil des consciences et l’évolution des mentalités (Parcem) : “C’est une entreprise dont l’importation de carburant n’est pas le métier, elle a des problèmes de logistique et de stockage”. Mais pour lui comme d’autres analystes, la raison principale de ces pénuries est monétaire : “Le Burundi a un niveau très faible de réserve de dollars. Avant la crise de 2015, il y avait des réserves de change d’environ trois mois, désormais c’est une semaine ou deux. Une des causes de cela, c’est que la balance commerciale du Burundi est largement déficitaire”. 

Au deuxième semestre 2020 par exemple, les exportations représentaient près de 14 fois moins que le total des importations. Des secteurs clés de l’économie ne permettent pas ou plus des rentrées suffisantes de devises déplore Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome), qui détaille : “Le secteur du café était le principal fournisseur de devises mais le gouvernement l’a presque abandonné. Il n’a pas subventionné à la hauteur requise et la production a chuté. Pour le secteur des minerais, nous avons établi qu’une partie du produit des exportations est placée dans des paradis fiscaux, ou alors réinjectée dans le marché noir”. Selon l’Olucome, plus de 70 % des devises issues de la vente des minerais ne seraient pas rapatriées au Burundi.  

"Ce qui est en cause c’est la mauvaise gouvernance"

Un marché de change du dollar s’est effectivement développé, où le taux de change serait actuellement autour de 3 800 franc burundais pour un dollar, près du double du taux de change officiel. Faute de moyens et de liquidités, le pays n’est pas en mesure de constituer des stocks d’essence, reprend Éloge Willy Kaneza : 

« On n’a plus de stock stratégique d’essence pour réagir en cas de problèmes d'approvisionnement. Avec la crise ukrainienne, tous les pays de la sous-région ont eu des problèmes de livraisons insuffisantes de carburant mais eux l’ont réglé car il avaient des stocks. Certains ici se plaignent qu’on n’a pas accès à la mer, et que ça compliquerait l'approvisionnement, mais le Rwanda voisin non plus n’a pas d’accès maritime et ils n’ont pas eu les problèmes de pénurie comme nous. Ce qui est en cause c’est la mauvaise gouvernance. 

Il faut aussi savoir qu’il y a un problème sur le prix de vente du litre que fixe le gouvernement. C’est trop minime pour les importateurs qui disent travailler à perte. Il faudrait un litre au moins à 5 000 francs burundais [soit environ 2,26 euros, NDLR] mais on est à 3 250 francs aujourd’hui [soit 1,47 euros, NDLR].

Il reste le marché noir, ça spécule et les prix sont évidemment plus élevés. Le litre peut atteindre entre 8 000 et 15 000 francs burundais [entre 3,60 et 6,80 euros, NDLR]. »

Contacté le 14 février par le média Iwacu, le directeur général de la Régie de production et de distribution d’eau et d’électricité (Regideso) censée importer du carburant, avait assuré que le manque de carburant était lié à un problème technique à Dar-es-Salam en Tanzanie, mais que “les camions-citernes sont en route pour le Burundi et vont bientôt arriver ». Vendredi 17 février, les stations-service étaient toujours à sec.