Les Burundais ont moins de dix jours pour changer leurs grosses coupures
Economie

La Libre Afrique8 juin 2023

Le manque de liquidité était devenu un problème central de l’économie nationale qui a décidé de changer tous les billets de 5 000 et 10 000 francs en dix jours.

Depuis des mois, les Burundais se plaignent de l’absence de liquidités sur les marchés locaux. “Les billets de 10 000 francs ont disparu de la circulation”, constataient en avril dernier un commerçant de Bujumbura, la capitale économique du pays.

En cause, selon plusieurs sources, la thésaurisation face à la crainte d’une banqueroute de l’État. “Si l’État a besoin d’argent, tout le monde craint qu’il passe se servir dans les banques, donc on n’a plus confiance”, explique un autre habitant de Bujumbura énervé par le fait que “même dans agences bancaires, il n’y a plus de billets de 10 000 francs. La valeur la plus élevée est de 2 000 francs”, soit l’équivalent de 50 cents (!), l’euro s’échangeant aujourd’hui à 4 000 francs bu.

Beaucoup accusent les dignitaires de l’État de “dormir sur des matelas de billets de grosses coupures”, tout en avouant ne pas comprendre l’attitude de ces gens qui ont ces “pactoles” mais qui les voient “fondre à vue d’œil à cause de l’inflation”.

On change tout et vite

« Les grosses fortunes vont devoir mettre sur pied de vraies armées de petits changeurs, s’ils veulent éviter de perdre trop d’argent et récupérer du cash”, s’amuse un Burundais qui prévoit de “vraies cohues”. L’opération concerne les billets de 5 000 et 10 000 francs qui seront remplacés par de nouvelles coupures.

C’est essentiellement la couleur des billets qui change. Ce sera toujours le portrait du prince Louis Rwagasore qui sera sur les 10 000 et le président Melchior Ndadaye sur les 5 000. Mais avec le changement de couleur, impossible de se tromper quand on passe d’un vieux brun au rose, pour les grosses coupures”, poursuit notre commerçant pas mécontent de cette opération “qui va solidement faire bosser les banques dans les prochains jours. Il faut s’attendre à de grandes files dès ce vendredi.” L’annonce de ce changement est en effet tombée ce mercredi 7 juin par un courrier signé par le gouverneur de la Banque centrale Dieudonné Murengerantwari.

Le remplacement des billets, lui, commence le… jour même et les Burundais ont jusqu’au 17 juin (soit dix jours) pour changer leurs coupures avec des plafonds pour chaque transaction et ce jeudi 8 juin est férié, à l’occasion de la journée nationale du patriotisme et de la commémoration de la mort du président Pierre Nkurunziza, décédé il y a tout juste trois ans.

La Banque centrale a visiblement tout prévu et le mouvement apparaît clairement comme un moyen de faire rentrer des liquidités dans les caisses des banques et de prendre au dépourvu ceux qui sont à l’origine de la crise.

Impossible ainsi d’échanger plus de 100 000 francs en cash. Au-delà de ce montant, qui représente 25 euros, les Burundais sont priés de déposer leur cash sur leur compte en banque avec, là aussi, un montant maximal de 10 millions de francs pour les personnes physiques (2 500 euros) et 30 millions pour les entreprises (7 500 euros). Le document de la Banque centrale ne prévoit aucune dérogation aux délais fixés. “Il va falloir ruser, s’amuse un diplomate qui vante la capacité de réaction des hommes quand il s’agit d’argent. Mais il faut reconnaître que c’est un beau coup du premier cercle de pouvoir et qu’il est parvenu à mener cette action sans qu’elle soit ébruitée”.

Car il est évident que la Banque centrale n’a pu mener cette opération de guérilla sans l’aval du président, de son Premier ministre et de son ministre des Finances. “Ceux-là ont eu le temps de se préparer”, poursuit le diplomate qui prévoit que “personne, à part l’un ou l’autre opérateur économique, qui pourrait avoir gain de cause, n’osera se plaindre sous peine de devoir exposer au grand jour ses biens”.

Le gouvernement va mettre ainsi fin aux tensions sur les liquidités mais il ne résout rien de la crise économique dans un pays où les industries extractives – importantissime source de rentrées – sont toujours à l’arrêt et le nouveau code minier et ses exigences ne devraient pas booster rapidement le secteur.

Hubert Leclercq