Le nombre de réfugiés du Burundi en Suisse multiplié par 100
Société

RTS14/11/2023

Comment la diplomatie serbe a multiplié par 100 le nombre de réfugiés du Burundi en Suisse

En 2022, 1191 Burundais ont demandé l'asile en Suisse alors qu'un an auparavant ils n'étaient que 10. Cette explosion de cas est due à la décision de la Serbie en 2018 de lever les obligations de visas pour les ressortissants de ce petit pays d'Afrique de l'Est.

A cette époque, le Burundi est isolé sur la scène internationale. Il fait l'objet de sanctions économiques de l'Occident en représailles au 3e mandat du président Pierre Nkurunziza.

Mais la Serbie, en échange du retrait de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo, ancienne province serbe, a décidé de lui tendre la main. Pour Belgrade, il s'agit d'un enjeu majeur et d'une stratégie assumée, comme l'explique Ivan Vejvoda, spécialiste des Balkans à l'Institut des sciences humaines de Vienne, dans La Matinale de la RTS mardi.

"Il y a quelques années, la Serbie s'est engagée dans une politique active pour convaincre des pays africains ou de la région du Pacifique de ne pas reconnaître le Kosovo. Elle a utilisé divers moyens, comme offrir des bourses d'étude ou en libéralisant le voyage vers la Serbie, c'est-à-dire vers l'Europe". Depuis 2017, 16 pays ont ainsi révoqué leur reconnaissance de l'indépendance du Kosovo.

Rétropédalage serbe

Belgrade n'a semble-t-il pas anticipé l'appel migratoire que cette stratégie allait créer. Pour le professeur Ivan Vejvoda, le gouvernement serbe s'est laissé entraîner dans sa bataille pour la non-reconnaissance de l'indépendance du Kosovo.

Mais la Serbie est candidate à une adhésion à l'Union européenne et n'a pas intérêt à fâcher les Etats membres. Des milliers de Burundais ont en effet utilisé l'accord avec la Serbie pour y venir avant de se diriger vers d'autres pays, comme la Belgique, la Suisse ou l'Italie, où ils ont demandé l'asile.

En 2022 et 2023, le gouvernement est donc revenu en arrière après les protestations européennes et suisses, comme l'a confirmé à la RTS Goran Bradic, l'ambassadeur de Serbie en Suisse. Ces douze derniers mois, la Serbie a réintroduit l'obligation de visas pour le Burundi, la Tunisie, l'Inde, la Bolivie, la Guinée-Bissau et Cuba.

Véritables agences de voyage de l'asile

Alors que la levée des visas pour les Burundais a eu lieu en 2018, pourquoi les demandes d'aile ont-elles enregistré un pic seulement l'année passée?

L'explication est à chercher du côté d'un léger effet retard. Le bouche à oreille autour de cette nouvelle route a pris du temps et les infrastructures n'étaient pas encore opérationnelles. Petit à petit, un business de l'exode s'est développé à Bujumbura, la capitale, avec de véritables agences de voyages de l'asile, comme le raconte dans La Matinale Pierre (prénom d'emprunt, ndlr), requérant d'asile burundais à Genève.

"C'étaient des agences qui avaient des contacts en Serbie. Sur notre ticket était marqué le nom de l'hôtel et le jour où nous devions passer. Trois jours après, on devait choisir entre rester dans le camp de réfugiés ou continuer la route vers l'Europe, sur le chemin de l'espoir".

Selon lui, quelque 4000 Burundais se trouvaient dans le camp de réfugiés en Serbie où il a atterri. Il est difficile de connaître leur nombre exact en Europe. S'il y en avait environ 1200 en Suisse en 2022, la Belgique, destination privilégiée des Burundais, en comptabilisait un peu plus de 2700.

Le sort des Burundais en suspens

La porte serbe est désormais refermée mais le sort de nombreux Burundais reste en suspens.

En Suisse, l'asile n'est accordé qu'à 2,6% d'entre eux mais le renvoi forcé n'est pas possible dans leur pays. Les requérants disparaissent alors souvent dans la nature ou sont renvoyés dans le premier pays de l'UE où ils ont été enregistrés: la Croatie pour la très grande majorité d'entre eux. Ce pays, qui subit une très forte pression migratoire, est dénoncé depuis des années par des ONG comme Médecins du monde ou l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés pour les mauvais traitement infligés aux demandeurs d'asile.

Mohamed Musadak/lan