La Tanzanie veut renvoyer les réfugiés présents sur son sol dans leur pays d’origine
Société

RFI, 24/01/2024

La présidente tanzanienne Samia Suluhu a annoncé lundi 22 janvier sa volonté de renvoyer dans leur pays d’origine les plus de 200 000 réfugiés présents sur le sol tanzanien. Si officiellement, ces réfugiés doivent partir volontairement, la pression sur eux est de plus en plus forte.

La Tanzanie abrite plus de 250 000 réfugiés, en majorité burundais.

Samia Suluhu Hassan a fait part de sa volonté de renvoyer tous les réfugiés qui sont sur le sol tanzanien il y a deux jours à Dar es-Salaam, au cours d'une rencontre avec le haut commandant de la TDF, l'armée tanzanienne, qui venait de le lui demander. « En tant que chef de l'État, j'ai pris en compte votre recommandation d'identifier tous les réfugiés résidant en Tanzanie, (...) afin que nous puissions voir comment nous pouvons les renvoyer dans leur pays d'origine », a déclaré la présidente de Tanzanie.

Longtemps considérée comme une terre d'accueil pour les réfugiés en provenance des pays voisins (les Burundais en 1972 et en 1993, les Rwandais en 1994 ou encore les Congolais depuis le début des années 1960), la Tanzanie estime aujourd'hui avoir déjà fait sa part. D'autant que l'aide internationale en leur faveur ne cesse de diminuer et qu'elle considère ces réfugiés de plus en plus comme une potentielle menace sécuritaire. Même si leur nombre à fortement diminué au fil des années.

De plusieurs millions dans les années 1990, le pays abritait en juin 2023, selon les chiffres du Haut-Commissariat de l'ONU (HCR), plus de 250 000 réfugiés, dont les deux tiers ont fui le Burundi après la crise de 2015. Ce pays est désormais considéré comme en paix. Le reste est constitué essentiellement de réfugiés congolais en provenance de l'est de la RDC, en proie à des violences armées récurrentes.

Depuis quelques années, la Tanzanie estime que ces réfugiés lui pèsent de plus en plus économiquement et pourraient constituer une menace sécuritaire. Elle veut donc les voir partir.

Mais toutes les campagnes imposées en vue d'un retour volontaire ou les restrictions de toutes sortes n'ont pas réussi à convaincre les réfugiés, surtout les Burundais, à retourner massivement dans leur pays d'origine : interdiction de sortir des camps de réfugiés et de cultiver, fermeture des écoles, interdiction du petit commerce ou encore d'avoir un vélo ou une moto, rien n'y a fait. 

Les Burundais disent craindre une répression toujours en cours malgré les dénégations de Gitega, alors que les Congolais eux n'ont pas envie de retourner dans l'est de la RDC, une région toujours en proie aux violences armées.

Même si Samia Suluhu accuse le HCR de ne pas être à la hauteur de sa mission, elle a promis à son armée lundi 22 janvier de continuer de « travailler » avec l'organisation onusienne. Elle compte surtout sur « le dialogue politique » avec les pays concernés, dit-elle, pour résoudre cette question. Leurs pays d'origine ne demandent pas mieux.


 

« Nous avons une obligation internationale et morale d'accueillir nos frères »

Du côté des organisations des défenses des droits humains, les propos de la présidente tanzanienne font polémique. Boniface Mwabukusi, avocat et militant, est indigné par l'annonce de Samia Suluhu Hassan à qui il demande de « revenir sur sa déclaration ».

RFI : Comment réagissez-vous aux propos de Samia Suluhu Hassan ?

Boniface Mwabukusi : Nous avons une obligation internationale et morale d'accueillir nos frères, et il est injuste d'essayer de les renvoyer chez eux, simplement parce qu'ils exercent une pression forte sur notre pays. Nous devons penser à leur vie, à leur sécurité. C'est pourquoi nous demandons à notre présidente de revenir sur sa déclaration. Le Congo fait partie de la Communauté de l'Afrique de l'Est, le Burundi fait partie de la Communauté de l'Afrique de l'Est. Comment peut-on chasser nos propres frères ? Je ne pense pas qu'il soit approprié pour notre pays ou pour ma présidente de dire « hé, les gars, maintenant vous devez rentrer chez vous parce que tout va bien ». Nous savons que ce n'est pas vrai.

La présidente dit que le HCR est débordé et que le gouvernement devrait intervenir. Êtes-vous d'accord ?

Dans l'état actuel des choses, je ne pense pas que ce soit la première fois que la Tanzanie essaye de renvoyer les réfugiés. Le précédent président avait essayé de le faire. Mais nous devons comprendre qu'il n'y a rien à reprocher au HCR, parce qu'il n'a rien à voir avec la situation dans les pays d'origine de ces réfugiés. Le problème n'est pas le HCR, il faut plutôt examiner les raisons qui obligent nos voisins à affluer en masse dans notre pays.

Quelles sont les restrictions auxquelles les réfugiés en Tanzanie font face actuellement ?

Les réfugiés présents ici ne peuvent pas circuler librement. Nos lois et notre politique veulent qu'ils soient confinés dans des camps. Dans certains camps, l'infrastructure n'est pas bonne, il manque des places. C'est donc un défi dont nous devons nous préoccuper. Nous devons leur assurer un bon accueil, et faire en sorte que les camps répondent à tous leurs besoins, qu'ils puissent accéder à l'école, aux services sociaux, et d'autres formes de divertissement pour qu'ils se sentent dignes.

Comment expliquez-vous que les réfugiés présents en Tanzanie refusent de rentrer chez eux ?

Ils pèsent le pour et le contre. Certes, ils subissent beaucoup de restrictions dans les camps, mais rentrer chez eux, ce serait comme signer leur propre arrêt de mort. Ils ne peuvent pas rentrer chez eux en raison de la situation sécuritaire. Regardez ce qui se passe au Burundi, il y a encore beaucoup de chaos, des guerres et des conflits internes, le pays n'est pas sûr. Ils ne seraient pas en sécurité s'ils rentraient chez eux. Toute personne saine d'esprit ne prendrait pas le risque de ramener sa famille dans une telle situation.