Burundi : “Toutes les plaies s’abattent sur nous”
Société

La Libre Afrique1 février 2024

Les pluies torrentielles gonflent les eaux du lac Tanganyika qui pourrait atteindre des niveaux exceptionnels.

Un habitant de Bujumbura scrute le niveau de l’eau du lac Tanganyika qui ne cesse de monter. “Il y a exactement 60 ans, en 1963-64, le lac a connu une crue exceptionnelle qui a fait de gros dégâts. Cette année, on pourrait battre ce record”.

Le lac Tanganyika est le plus important réservoir d’eau douce d’Afrique, avec 18 880 km3. Par sa profondeur, c’est le deuxième lac au monde, avec des fosses atteignant 1 470 m. Il est bordé par la République démocratique du Congo (RDC), la Tanzanie, la Zambie et le Burundi, pays le plus touché par ses crues en raison de la forte densité de la population qui vit au bord du lac. C’est le cas de Bujumbura, la ville la plus peuplée.

Cela fait près de quatre ans que les eaux du lac sont en crue”, explique un autre habitant de Bujumbura. “Ici, ça va encore même si on voit chaque jour le niveau des eaux qui augmente, mais certaines villes, comme Gatumba, entre ici et la frontière congolaise, a dû s’adapter à cette situation. Au Burundi, on compte déjà plus de 35 000 réfugiés climatiques. Ils ont dû abandonner leur maison à cause de cette montée des eaux”.

Et cette année, les prévisions sont catastrophiques. “La saison sèche n’arrivera pas avant le mois de juin. Les pluies vont encore tomber pendant plusieurs mois. En général, en janvier, on connaît une période d’accalmie mais depuis quelques années, ce n’est plus le cas. On voit aussi que le lac Kivu, qui se jette dans le Tanganyika est plein comme un œuf.”

Menaces sur l’aéroport

À Bujumbura, les habitants craignent que les eaux atteignent l’aéroport. Certains experts pensent que dans les prochaines semaines la moitié de la moitié de la piste sera sous eau, interdisant tous les gros et moyens porteurs. “Ce qui ne ferait qu’accroître la crise économique”, poursuit notre témoin qui rappelle que le pouvoir burundais du président Évariste Ndayishimiye a fermé les frontières avec le Rwanda, coupant une source de commerce pour le nord du pays et particulièrement la province de Cibitoke qui, avec les pluies torrentielles de ces dernières semaines, est de plus en plus coupée du reste du pays. “Les routes entre Bujumbura et notre province sont à peine praticables et se dégradent très vite”, explique un habitant de la ville de Cibitoke, capitale de la province du même nom.

Avec la fermeture de la frontière, on a perdu un marché important. Si la route de Bujumbura devait être coupée, ce serait une nouvelle catastrophe. Avec la fin du commerce avec le Rwanda, on perd beaucoup de nos rentrées”, poursuit le commerçant qui n’a plus accès aux devises rwandaises, plus intéressantes que le franc burundais qui continue sa dépréciation. Il faut désormais 5 200 francs burundais pour un euro au marché noir. Le taux officiel est de 3 000 “francs bu” pour un euro. “Mais les banques n’ont pas de devises, c’est donc le marché noir ou rien. Il y a dix mois, pour un euro, il fallait 4 000 francs bu. Le franc a donc perdu 30 % de sa valeur en dix mois et la tendance n’est pas à l’amélioration”, continue notre interlocuteur qui ne cache pas sa crainte de voir une explosion de violence.

Grogne militaire

Le régime burundais est sur ses gardes mais la grogne au sein de l’armée ne cesse, comme les eaux du lac, de gonfler ».

Le peuple burundais a déjà démontré sa capacité de résilience ces dernières années face aux pénuries en tous genres. “Résilience ou crainte ?”, interroge un de nos interlocuteurs qui rappelle que “la répression menée par le pouvoir en 2015 a laissé de profondes traces dans toutes les familles”. Mais cette fois, la grogne a atteint l’armée. Selon plusieurs témoignages, 300 à 500 militaires ont été arrêtés ces dernières semaines et se retrouvent dans les cachots des casernes. Au cœur de cette grogne, l’envoi de plusieurs bataillons (entre 6 et 10, aucun chiffre officiel n’est disponible) au Nord-Kivu pour combattre au côté de l’armée congolaise. “Les Burundais se retrouvent systématiquement en première ligne”, explique une source qui poursuit en indiquant que plusieurs dizaines de militaires ont fui les combats et ont regagné leur village. “Parfois, ils ont dû parcourir pus de 350 kilomètres à pied. Ils ont dû vivre de rapine car, évidemment, ils n’avaient rien à manger ni à boire”.

Une source crédible indiquait ce jeudi 1er février qu’au moins 10 militaires et 15 Imbonerakure (membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir) sont en détention au camp militaire de Cibitoke depuis le 29 janvier “pour avoir refusé de combattre sur le front congolais”.

Plusieurs pointent le nombre important de morts dans les rangs burundais au Nord comme au Sud-Kivu. “Quand ce sont des officiers qui tombent, l’armée est obligée de communiquer. Pour les soldats, aucun chiffre. Aucune information à la famille qui perd un fils et ne reçoit aucun dédommagement”, continue une source occidentale qui explique “s’attendre à du grabuge au sommet de l’État. Les paris sont ouverts sur la date du prochain coup d’État. Il faut que les conjurés s’entendent sur le nom de leur chef qui devra gérer une situation difficile avec un pays au bord de la faillite qui ne pourra, dans un premier temps, compter sur aucune aide internationale.”