Burundi : Quand un ministre est frappé de "cécité juridique"
Analyses

@rib News, 10/10/2010

Edouard Nduwimana : la lettre qui fait douter.

Albanel Simpemuka

Y a-t-il donc une fatalité qui veut que les ministres de l’Intérieur du CNDD-FDD soient frappés de cécité juridique ? On se souvient de la fameuse ordonnance, liberticide et avortée, n° 530 du 6 octobre 2008 portant « réglementation des réunions et manifestations des partis politiques et autres associations au Burundi » de Venant Kamana, qui avait dû battre en retraite après les protestations de gens de bon  sens.

Eh bien ! E. Nduwimana, voulant peut-être inscrire son nom dans le livre des records du zèle de la répression politique, a adressé, en date du 16 septembre 2010, une lettre sans « Objet », aux présidents des partis politiques, avec ampliation au Président de la République, au premier vice-Président de la République, aux Gouverneurs de province, au Maire de la ville de Bujumbura, au Directeur général de l’administration du territoire, ainsi qu’au président du Forum permanent du dialogue des partis politiques agréés. Cette lettre confirme, s’il en était encore besoin, la constante violation du droit par les dirigeants du CNDD-FDD, tantôt en le bafouant ouvertement, tantôt en l’invoquant de façon biaisée par une interprétation fantaisiste. 

Penchons-nous un instant sur cette lettre, et voyons ce que dit réellement la loi, et nous verrons comment ce ministre insulte le droit à des fins de répression politique de l’opposition.

Une référence juridique délibérément tronquée suivie d’une décision arbitraire et de nul effet.

E. Nduwimana se réfère à la Constitution et à la loi sur les partis. Dans la Constitution, il invoque l’article 81 « qui édicte que les partis politiques peuvent former des coalitions lors des élections ». Dans la loi sur les partis politiques, il cite l’article 8 « qui ajoute que la coalition est un rassemblement momentané de deux ou plusieurs partis en vue de poursuivre un ou plusieurs objectifs communs. »

Partant de ces références partielles interprétées de façon partiale, le Ministre  arrive à la conclusion, pour le moins absurde que « en cette période post-électorale, toute coalition perd ipso facto toute existence légale ». Et de conclure par une injonction qui viole la constitution et la loi sur les parti en ces termes : «  A l’heure actuelle, le renforcement du système des partis politiques agréés doit se faire dans le cadre  du Forum Permanent de Dialogue des Partis politiques agréés au Burundi dont la législation a pris effet par l’ordonnance conjointe n° 530/214/1301 du 7/01/2009. »

Du caractère permanent du droit de coalition selon l’esprit et la lettre de la constitution

Une lecture  sereine et impartiale de la constitution  conclut au caractère permanent du droit de coalition. En effet, cette constitution proclame en son article 32 que « La liberté de réunion et d’association est garantie, de même que le droit de fonder des associations ou organisations  conformément à la loi. » On peut donc considérer qu’une coalition est une association légale et légitime qu’on ne saurait restreindre arbitrairement car, dit l’article 47 de la constitution : « Toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale; elle doit être justifiée par l’intérêt général ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui; elle doit être proportionnée au but visé. »

Sur quelle base légale se fonde Nduwimana? Sur la fameuse ordonnance conjointe? Impossible car, dit la constitution en son article 48 : « Les droits fondamentaux doivent être respectés dans l’ensemble de l’ordre juridique, administratif et institutionnel. La Constitution est la loi suprême. Le législatif, l’exécutif et le judiciaire doivent la faire respecter. Toute loi non conforme à la Constitution est frappée de nullité. »

La même constitution donne aux coalitions un cadre légal permanent. Elle voit dans ces coalitions un moyen de promouvoir la libre expression du suffrage d’une part et de participer à la vie politique d’autre part. Ceci est stipulé dans l’article 79, que notre ministre s’est bien  gardé de lire et de considérer : « Les partis politiques et les coalitions de partis politiques doivent promouvoir la libre expression du suffrage et participent à la vie politique[1]par des moyens pacifiques. ». Ici on ne voit aucune restriction dans le temps. La participation à la vie politique ne se réduit pas aux seules élections, qui ne sont qu’un moment de cette vie. Le droit de former des coalitions est ici proclamé comme un droit permanent, lié seulement par le respect de la loi et l’expression politique par des moyens pacifiques.

Mieux, la constitution, en son article 80 prescrit la non-ingérence des pouvoirs publics dans le fonctionnement interne des partis politiques « sauf pour ce qui est des restrictions nécessaires à la prévention de la haine ethnique, politique, régionale, religieuse ou de genre et au maintien de l’ordre public.»

Il est donc évident que, par les dispositions que le précèdent, par l’esprit  et la lettre de la constitution, l’article 81 qui stipule que : « Les partis politiques peuvent former des coalitions lors des élections, selon des modalités fixées par la loi électorale », ne doit pas être lu et exploité dans un sens restrictif dans le temps, mais plutôt comme le refus de toute manœuvre de cloisonnement des partis par l’interdiction éventuelle des coalitions lors des compétitions électorales. Toute interprétation dans le sens contraire est partiale et contraire à la lettre et à l’esprit de la constitution démocratique. Le législateur confirme cette lecture dans la loi sur les partis.

Comment la loi N° 1/006 du 26 juin 2003 portant organisation et fonctionnement des partis politiques  considère les coalitions.

L’article 8 de cette loi stipule que « Les partis politiques peuvent former des coalitions. La coalition est un rassemblement momentané de deux ou plusieurs partis politiques en vue de poursuivre un ou plusieurs objectifs communs.

Toute coalition donne lieu à une déclaration dont copie est communiquée au Ministre ayant l’Intérieur dans ses attributions. »

A l’évidence, le droit de former une coalition ne se limite pas à la période électorale. La définition de la coalition comme « rassemblement momentané » signifie  que l’alliance n’est  pas continue et définitive comme peut l’être une fusion. Elle est appelée à durer un certain moment, le temps d’atteindre un ou des objectifs précis, qui ne sont pas forcément électoraux,  ou limités à la seule période électorale. Seuls les partis coalisés sont juges de l’opportunité de poursuivre ou de mettre fin à leur alliance. Aucune autre obligation particulière ne conditionne la formation d’une coalition. Le rapprochement de deux ou plusieurs partis légalement constitués  n’a rien d’illégal et la loi prescrit tout juste d’en informer le ministre de l’Intérieur.

La loi reprend et augmente le rôle positif des coalitions des partis : elles concourent à la formation civique, à la libre expression du suffrage et à l’animation de la vie politique. L’article 3 dispose en effet que : « Les partis politiques et le cas échéant les coalitions des partis concourent à la formation civique et à la libre expression du suffrage. Ils participent à la vie politique par des moyens pacifiques. » Qui peut dire raisonnablement que la formation civique et l’animation de la vie politique se limitent à la seule période électorale ?

La coalition est un des modes de rapprochement des partis politiques, à côté de la fusion.  L’article 10 de la loi sur les partis montre lui aussi que la coalition n’est pas un éphéméride électoral, mais un phénomène politique qui  peut se matérialiser en toute légalité, à tout moment, la période post-électorale y comprise : « Les partis fusionnés ou ayant formé des coalitions qui sont représentés au Parlement conservent le nombre de sièges dont ils disposaient avant la fusion ou la coalition. »

C’est clair, la coalition est un droit constant et dont l’existence et les effets perdurent au-delà des élections, avec notamment un impact parlementaire. Tout comme la constitution, la loi sur les partis prescrit la non-ingérence des pouvoirs publics dans le fonctionnement des partis politiques, tout en sauvegardant les restrictions nécessaires à l’unité nationale, à l’ordre public et aux bonnes mœurs (article 11).

Quid du Forum permanent de dialogue des partis politiques agréés ?

E. Nduwimana parle de "Forum permanent de dialogue des partis politiques agréés". En réalité, ce forum n’existe pas. Ce qui existe, c’est un  "Forum de dialogue permanent des partis politiques agréés". Mais là n’est pas le problème. Le plus important est de savoir, si on peut faire obligation à un parti de participer à ce forum.  De quel droit Nduwimana se permet-il d’affirmer que : « A l’heure actuelle, le renforcement du système des partis politiques agréés doit se faire dans le cadre  du Forum Permanent de Dialogue des Partis politiques agréés au Burundi dont la législation a pris effet par l’ordonnance conjointe n° 530/214/1301 du 7/01/2009. » ?

Cette ordonnance aurait-elle supplanté et remplacé la loi sur les partis ? Peut-on imposer aux partis politiques la façon dont ils veulent et peuvent se renforcer ? Peut-on faire obligation  aux partis politiques de participer à ce forum ? Va-t-on prendre des sanctions contre les partis de l’ADC-IKIBIRI qui ont claqué la porte au Forum de dialogue permanent ? Y a-t-il une loi qui fait obligation de dialoguer ? Y a-t-il un parti qui fait le plus fi de la demande de dialogue  que le CNDD-FDD, même aux moments les plus cruciaux et sur les sujets les plus essentiels pour la paix de la nation? On aimerait bien que Nduwimana  réponde.

Conclusion : la formation de coalitions de partis politiques est un droit permanent et Nduwimana bricole hors la loi.

A l’analyse, il apparaît que le ministre de l’intérieur est un « sinistre de l’intérieur ». Sa lettre est réellement  sans objet. Elle interprète la constitution et la loi de travers et cherche à se donner les moyens légaux pour une répression programmée.  Le Ministre de l’Intérieur  a-t-il vraiment des conseillers juridiques ? A-t-il le moindre sens de l’histoire ?  En tout cas, ce n’est pas au nom de la loi qu’il pourra justifier l’arrestation des leaders de l’opposition pour cause de coalition politique. Celle-ci est un droit permanent. La constitution et la loi sur les partis politiques considèrent la formation de coalitions comme un facteur positif dans l’animation de la vie politique, avant, pendant et après les élections. Aucune ordonnance liberticide, aucune lettre atypique ne saurait  ignorer la hiérarchie des lois et faire fi de la lettre et de l’esprit de la constitution et de la loi sur les partis.


[1] Les soulignements sont de l’auteur