Le Burundi, fer de lance du français
Opinion

Le Temps, 22 octobre 2010

Maurice Mazunya est professeur à l’Université du Burundi, à Bujumbura, et directeur du Centre pour l’enseignement des langues au Burundi (Celab). Dans une Afrique de l’Est où la bataille des langues fait rage, il explique les enjeux pour son pays. Entouré de pays anglophones, le Burundi a un rôle clé pour la francophonie.

Le Temps : La décision du Rwanda voisin de promouvoir l’anglais, et d’adhérer au Commonwealth, a frappé les esprits… Le pays cherche à présent un millier d’enseignants en anglais… Cette décision fera-t-elle école au Burundi ?

Maurice Mazunya : Non. Le Burundi est un pays francophone, comme le Rwanda, de par l’histoire de la colonisation belge. Le français y est langue de scolarisation dès la cinquième année primaire. Nous avons un patrimoine linguistique et culturel. Mais le Burundi est aussi pris dans l’intégration régionale. D’une part, la communauté est-africaine, composée essentiellement de pays anglophones avec l’Ouganda, le Kenya et la Tanzanie, dont l’anglais est la langue officielle et le kiswahili une langue transnationale; d’autre part, la région des Grands Lacs, avec la République démocratique du Congo, le plus grand pays francophone d’Afrique. Au Burundi, on enseigne aussi le kiswahili et l’anglais. Les élites peuvent les parler. Ce n’est donc pas un problème en soi si le pays semble faire cavalier seul. Au contraire, il se trouve à une position charnière, qu’il doit exploiter.

– Votre pays ne se trouve-t-il pas isolé ?

– Pas vraiment. La réalité politique, d’en haut, repose sur l’anglais et le kiswahili. Prenons un exemple: nous voulons relancer le Celab. Avant la guerre, il formait des jeunes des pays anglophones ou lusophones, qui venaient apprendre le français au Burundi pour l’enseigner ensuite dans leur pays. De 1984 à 1994, un millier de stagiaires avaient ainsi été formés. Nous remettons ces formations sur pied, car il y a des attentes, en Tanzanie, en Ouganda et au Kenya. Ces pays manifestent un intérêt croissant pour les écoles bilingues, anglais-français. Je n’ai donc pas d’inquiétudes. Le Burundi peut devenir une plaque tournante de la francophonie dans la région.

– De quelle manière ?

– Nous avons signé des mémorandums de coopération universitaire avec la Tanzanie. Les professeurs burundais pourront se former en anglais en Tanzanie, et les Tanzaniens en français au Burundi. Dans les pays anglophones, s’agissant de former les élites, le bilinguisme constitue une plus-value. Les gens prennent de plus en plus en considération la situation de la région, sa proximité avec l’Afrique francophone centrale et occidentale. Toutefois, dans cette dynamique régionale, il manque une dimension culturelle et citoyenne, face à l’intégration politique et économique.

– Que devrait comporter cette facette culturelle ?

– Il manque encore une vision d’ensemble, pour éviter notamment que l’on n’impose l’anglais au nom de la mondialisation. Il faudrait des politiques linguistiques communes, qui respectent la diversité culturelle, prônant un multilinguisme convivial, non conflictuel. Il faut une con­naissance mutuelle des peuples, à travers la sous-région. L’histoire nous a montré ce qui arrive lorsque l’on ne respecte pas toutes les minorités…