Témoignage : Paul Mirerekano avait plusieurs qualités

Paul MIREREKANO : Un homme qui a toujours exigé la justice sociale pour tous

Par Léonce NDARUBAGIYE - @rib News, 19/10/2005

J’ai lu avec plaisir les articles que vous avez publiés sur les Grands Hommes burundais. J’ai été particulièrement touché par votre article sur Monsieur Paul Mirerekano que j’ai eu l’honneur de connaître et c’est avec joie que j’écris ce témoignage à sa mémoire.

Paul Mirerekano avait plusieurs qualités. Homme juste et naturellement bon, il avait un sens aigu de l’amour du prochain. C’était aussi un homme entreprenant, un agronome compétent, un homme du peuple qui constituait un point de d’attroupement et de ralliement partout où il allait.

A la fin de ses études d’agronomie au Groupe Scolaire d’Astrida, il fut affecté au territoire d’Usumbura, chef-lieu du Ruanda-Urundi, comme on les appelait à l’époque coloniale. Il travaillait sous les ordres d’un agronome belge et participa avec lui à la plantation des arbres le long des routes de la ville ; ainsi qu’à l’entretien des jardins publics. Son poste d’attaché et ses bureaux étaient situés au jardin botanique expérimental qui se trouvait à l’emplacement où fut construit plus tard la Cathédrale Regina Mundi et ses environs. Il y avait là toutes sortes d’arbres fruitiers tropicaux que l’administration coloniale introduisit au Burundi avant leur diffusion là où ils pouvaient pousser à l’intérieur du pays.

A la suite d’une brouille avec l’agronome belge dont il est question plus haut, il fut frappé d’une mesure disciplinaire de mutation vers le Rwanda lointain. Trouvant cette mesure injuste, il la refusa et décida de se mettre à son propre compte, chose qu’aucun autre ressortissant du Ruanda-Urundi, même victime d’injustices de tout genre n’avait osé faire avant lui par peur de perdre son gagne-pain. Beaucoup plus tard, trois chefs rwandais démissionnèrent pour la même raison que lui. Normalement, les agents africains de l’administration du Congo Belge et du Ruanda-Urundi ne quittaient cet emploi prestigieux que par mesure de révocation et ce ne fut jamais son cas.

A cette occasion, Paul Mirerekano fit valoir pour soi une clause de la Fonction Publique qui prévoyait l’octroi de « la mise en disponibilité » pour tout agent de l’administration qui prendrait le courage de la solliciter. Cette disposition de la loi sur la Fonction Publique limitait la période de mise en disponibilité à un an, et offrait au concerné la latitude, soit de réintégrer automatiquement la fonction publique avec le même statut qu’il l’avait quittée, soit de démissionner avant l’expiration de cette période réglementaire à défaut de quoi il se voyait révoqué d’office. Ses amis essayèrent en vain de le dissuader de se jeter à l’eau et lui conseillèrent d’accepter la mesure de mutation pour ne pas perdre son emploi qui était très prisé et fort respecté à cette époque. Au beau milieu de la période réglementaire, il démissionna de son plein gré.

Homme de caractère bien trempé et convaincu d’être dans son droit et dans le bon chemin, il n’en fit qu’à sa tête et l’avenir immédiat allait lui donner raison. Paul Mirerekano s’attela immédiatement au travail et mit sur pied un projet maraîcher à Bugarama, non loin de sa colline natale de Kavumu. Cette réalisation allait s’avérer très durable, car, aujourd’hui encore, ses cultures diversifiées font la fierté des gens de la région. Ses produits maraîchers étaient d’abord vendus dans les restaurants huppés et sur le marché d’Usumbura et sa clientèle était principalement européenne, la seule à consommer les légumes crus à l’époque où les habitudes alimentaires des africains n’avaient pas encore évolué. Le projet s’avéra très rentable et Paul Mirerekano gagnait de loin plus d’argent dans le privé que du temps où il percevait un salaire mensuel de l’administration. Il devint rapidement riche ; notamment en s’achetant un véhicule. Peu après, il installa à Usumbura un projet similaire à celui de Bugarama et doubla ses revenus. Tous ceux qui l’ont connu vous diront qu’il avait la main sur le cœur et que beaucoup de gens bénéficièrent de son assistance et de ses largesses en commençant par le Parti Uprona lui-même.

Contrairement à ce qu’a dit Mr Jean Ghislain que vous citez dans votre article, lorsque le Roi Baudouin effectua une visite dans les colonies en 1955, Paul Mirerekano ne déjoua aucune vigilance de l’administration pour s’adresser au Roi puisque le protocole avait prévu l’arrêt de Bugarama pour permettre au Roi d’inspecter les réalisations de l’africain entreprenant Mirerekano, qui était d’ailleurs fréquemment cité en exemple. Et ce dernier était non seulement prévenu afin de se préparer à cette visite royale mais il lui avait été demandé de prononcer un discours de circonstance. Le reste vous l’avez dit et je n’y reviens pas. Ce que le public ne sait peut-être pas, c’est qu’au Rwanda voisin, ce privilège octroyé à un indépendant de s’adresser au Roi fut accordé à François-Xavier Nayigiziki dont les talents de poète étaient vantés dans toute la colonie pour avoir publié en langue française un petit livre sur ses mésaventures de travail et sa fuite au Tanganyika Territory (actuelle Tanzanie) et dans un langage émouvant intitulé « Mes transes à trente ans ».

L’homme politique Paul Mirerekano est également connu du public même si les appréciations historiques varient selon l’obédience de chacun, non pas en raison de ce qui est vrai mais à cause des vicissitudes de la politique burundaise post-indépendance, si injuste et ingrate envers ceux qui ont lutté pour l’indépendance de notre pays. Personnellement je suis intimement convaincu que Paul Mirerekano était un grand nationaliste qui l’a prouvé, et c’est ici que je voudrais apporter mon témoignage sur quelques faits.

A la création du parti Uprona, Paul Mirerekano était présent aux côtés de Louis Rwagasore qui l’a toujours appelé « mon ami Paul ». Ce sont principalement les fonds personnels de Paul Mirerekano qui alimentèrent les caisses de l’Uprona à sa naissance, avant que Mwalimu Nyerere et un homme d’affaires basé à Dar es Salaam et recruté à cet effet par le même Nyerere ne prirent la relève pour financer ce parti nationaliste que fut l’Uprona à cette période cruciale de la lutte pour l’indépendance du Burundi.

Pour revenir à Harroy, il fut tellement exaspéré par l’ampleur grandissante que prenait un parti opposé à son administration, qu’il convoqua à son cabinet Paul Mirerekano pour le dissuader de se lancer dans cette lutte politique, et comme il refusa de se plier à cette injonction, son compte en banque fut bloqué dès le lendemain sur ordre du Gouverneur Harroy. Plus tard, le considérant avec Rwagasore comme étant les vrais piliers du parti Uprona, l’administration coloniale décida de l’arrêter. Il échappa à la prison grâce à Rwagasore, averti par Alphonse Busigo (le même Busigo qui conduisit en exil à Uvira André Muhirwa menacé également d’arrestation) et le fit fuir vers le Congo et le confia personnellement à Patrice Lumumba avec lequel Rwagasore et Mirerekano eurent une longue entrevue en marge des festivités d’indépendance du Congo à Léopoldville ou ils étaient allé représenter l’Uprona sur invitation du Premier Ministre Lumumba.

Un ami Rwandais qui partagea quelques moments d’infortune en exil avec Paul Mirerekano au Congo m’a dit que Louis Rwagasore et Paul Mirerekano, tout comme le Gouverneur Jean Paul Harroy et le Mwami Mwambutsa, étaient tous logés dans le même hôtel. Le Gouverneur Harroy les croisa dans les salons de l’hôtel et, en les saluant avec son éternel sourire narquois, il s’adressa à Paul Mirerekano en ces termes : « Ah Mirerekano, vous êtes là vous aussi !». Il aurait pu ajouter «depuis le temps qu’on vous cherche pour vous arrêter» que ça aurait été plus vrai et plus complet.

Après l’assassinat de Patrice Lumumba, Paul Mirerekano changea de lieu de refuge et s’installa quelques temps en Tanzanie. Le vieux Christopher Mubiligi m’a raconté comment il conduisit un beau matin Paul Mirerekano chez Mwalimu Nyerere, qui s’apprêtait à financer le voyage d’une délégation de l’Uprona à l’ONU, pour lui dire de reporter cette mission afin que les Upronistes s’entendent d’abord sur la gestion du Burundi indépendant de demain, surtout sur la manière dont ils comptaient éliminer les injustices et les inégalités entre les gens. Mwalimu Nyerere refusa. Ce qui est arrivé plus tard montre bien que les appréhensions de Mirerekano se sont avérées prémonitoires.

Je ne crois pas utile de devoir répéter ce que d’autres, y compris l’ARIB, ont déjà dit sur les tracasseries et la persécution dont Mirerekano fut victime juste après l’indépendance à laquelle il avait pourtant si généreusement contribué, mais je voudrais juste dire ceci : quand il partit à nouveau en exil, cette fois-ci au Rwanda, il resta en contact avec le Mwami Mwambutsa et les Evêques Grauls et Ntuyahaga en les priant d’intervenir auprès du gouvernement pour l’obliger à mener une politique de la promotion du bien-être des populations.

Il est utile également de rappeler qu’aux élections de 1965, c’est le Mwami Mwambutsa qui intervint personnellement pour obliger le gouvernement contre son gré à valider la candidature de Paul Mirerekano toujours en exil au Rwanda et qui fut élu à une très forte majorité contre le député sortant Kibinakanwa. Etant absent, c’est sa femme, Catherine, qui fit campagne pour lui en quelques mots et en promenant sa photo : «Vous le connaissez tous et il m’a demandé de vous dire qu’il sollicite vos voix ». 

N’ayant pas été présent au Burundi fin Octobre 1965, je termine mon propos en insistant pour dire que les jeunes générations doivent exiger que l’histoire du Burundi soit réécrite honnêtement afin de faire toute la lumière sur les événements de cette année 1965 sur lesquels le pouvoir d’exception se basa pour assassiner cet homme de très grande valeur. Je le dis premièrement et surtout parce que ceux qui accusèrent Paul Mirerekano et ses compagnons d’avoir tenté de renverser la monarchie s’empressèrent de la renverser eux-mêmes peu après, ce qui est bien étrange n’est-ce pas ? Deuxièmement, parce qu’il n’y a pas eu de procès digne de ce nom, ni avocat de la défense, ni témoins, ni preuves, afin de démontrer de façon irréfutable la culpabilité individuelle de chaque accusé. Troisièmement, parce que l’histoire récente nous a montré à maintes occasions qu’au Burundi ce ne sont pas toujours les coupables qui sont condamnés, autrement les assassins du Président Ndadaye ne seraient pas là où ils sont, pour ne citer que cet autre cas flagrant, parmi mille. En tout cas, pour moi et pour beaucoup, Paul Mirerekano n’était ni tribaliste, ni régionaliste, ni sectaire et comptait beaucoup d’amis dans toutes les ethnies. C’était plutôt un homme qui a toujours exigé la justice sociale pour tous. 

Léonce NDARUBAGIYE