Rwanda : pour Gahima, «Kagame a tué plus de gens que Kadhafi!»
Afrique

Marianne2, 13 Septembre 2011

Propos recueillis par Régis Soubrouillard

Gérald GahimaAncien procureur général du Rwanda, autrefois proche de Paul Kagame, Gérald Gahima a fondé le Congrès national du Rwanda, une plate-forme politique qui se veut une alternative au FPR. A l’heure où le président Nicolas Sarkozy recevait Paul Kagamé, il dénonce dans Marianne2 l'immense danger que représente celui qu'il appelle le dictateur minoritaire.

Marianne2.fr : Nicolas Sarkozy a reçu à Paris le président Kagame, comment percevez-vous le fait que la France lui déroule le tapis rouge ?

Gérald Gahima : En tant que Rwandais, je suis favorable à l’établissement de bonnes relations entre le Rwanda et la France, mais la réception du président Kagame par le président Sarkozy me paraît surprenante, voire choquante. La France a montré ces derniers mois son implication et sa volonté de faire tomber Kadhafi, pour les crimes commis contre des civils innocents. Le président Kagame a commis des atrocités contre le peuple rwandais et selon un rapport de l’ONU, il s’est rendu responsable de crimes particulièrement graves contre le peuple congolais. Sa responsabilité est engagée. Je m’interroge sur la pertinence de la politique étrangère française. Cela n’a aucun sens d’engager son armée contre un dictateur pour dérouler le tapis rouge à un autre tyran responsable de crimes contre l’humanité dans le même temps. Pourquoi débarque-t-on Kadhafi du pouvoir pour recevoir Kagame quelques semaines après ? Est-ce que Paul Kagame a tué des gens ? Oui ! Et bien plus que Kadhafi. Pourquoi un tel silence des puissances internationales, que Kagame ne cesse d’ailleurs d'exploiter ?

Comment qualifieriez-vous la position de la communauté internationale vis-à-vis de Paul Kagame ?

La position de la communauté internationale est très décevante. Le président Kagame a exploité et continue d’exploiter le génocide. En 1994, la communauté internationale et notamment les médias ont laissé le génocide se dérouler en silence, sans intervenir.

Compte tenu des craintes que suscite le spectre du génocide, Kagame fait du chantage aux puissances occidentales. La communauté internationale et les médias n’évoquent jamais la question des droits de l’homme, de la démocratie, les agressions contre les pays voisins.

Le message de Kagame est simple : « Vous n’avez pas été capables de prévenir un génocide, qui êtes-vous pour m’interroger sur la question des droits de l’homme, ma conception de la démocratie ? ». Les démocraties internationales ont fait preuve de lâcheté, elles en payent le prix.  

Vous êtes actuellement en exil aux Etats-Unis. Pourquoi avoir choisi l’exil ?

Ce n’était pas une obligation mais aujourd’hui le Rwanda est un pays à la fois mystérieux et dangereux qui présente une façade démocratique, contrôlé par un seul homme qui a la main sur toutes les institutions : l’exécutif, la justice, le parlement, le parti au pouvoir et la société civile. Donc toute personne ou organisation qui n’est pas en phase avec la politique du président Kagame est potentiellement en danger. C’est un pays très étroitement contrôlé. Aujourd’hui, si j’étais au Rwanda, je risquerais la prison ou ma vie. C’est ce qu’ont subi la plupart des opposants à Paul Kagame. Certains de mes collègues ont été condamnés à vingt ans de prison. C’est pour ma sécurité personnelle que j’ai choisi l’exil. A l’heure actuelle, de nombreuses personnes quittent ou souhaiteraient quitter le pays car elles ne supportent plus la dictature et l’oppression, mais elles ne peuvent pas sortir du pays.

J’espère pouvoir revenir au Rwanda un jour. Personnellement, je n’ai pas d’ambitions politiques, je n’ai pas de désir de faire partie d’un gouvernement rwandais. Ma seule ambition est de travailler à des changements politiques, notamment persuader la communauté internationale de nous aider à convaincre Kagame qu’il doit ouvrir l’espace et le débat politique à une opposition sans violence, sans oppression. Quand ce jour arrivera, je reviendrai au Rwanda.

Quel regard portez-vous sur la situation politique actuelle au Rwanda ? 

Le Rwanda n’a pas connu de système démocratique depuis son indépendance. A partir de 1991, Juvénal Habyarimana a accepté le principe d’une opposition politique, des partis politiques libres ont émergé. Des médias libres se sont développés, une société civile a commencé à voir le jour. Jusqu’en 1994, le Rwanda n’était pas une démocratie, mais le pays était sur la bonne voie. Le génocide a mis fin à tous ces espoirs d’une démocratie naissante. Actuellement, le FPR est tout entier accaparé par la consolidation de son autorité sur le pays. Il y a des partis politiques, mais il n’y a de partis d’opposition. Les partis existants ne servent qu’à apporter une légitimité au FPR.

Vous faites partie des  membres fondateurs du Rwanda National Congress, un parti politique d’opposition qui souhaite attirer l’attention des médias et de la communauté internationale sur la situation au Rwanda. Quels sont les objectifs politiques de cette organisation ?

Nos objectifs visent à apporter des changements politiques et démocratiques au Rwanda et à assurer la transition politique par des moyens pacifiques, dans le respect des droits politiques et l’égalité des chances. Paradoxalement, le problème du leadership du président Kagame est qu’il est très vulnérable. C’est un gouvernement impuissant qui exclut une majorité de la population. L’accès au pouvoir est associé à un ensemble de privilèges dont ne bénéficient pas les populations hutus : l’accès à l’économie, à l’éducation, etc. Kagame n’est pas seulement un dictateur, c’est un dictateur minoritaire.

Vous avez été procureur de la République de Kigali. Que saviez-vous des crimes commis en 1994 au Rwanda ?

Nous ne nions pas les atrocités commises par le FPR contre les Hutus. Nous ne nions pas non plus l’existence d’un génocide. Nous demandons la reconnaissance des violations des droits humains, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, l’assassinat de dizaines de milliers de personnes innocentes hutus. Le gouvernement nie ces atrocités. Elles ne figurent pas dans l’histoire politique officielle du pays. Tant que ces crimes ne seront pas reconnus, justice n’aura pas été rendue, les survivants de ces crimes ne seront pas autorisés à s’en souvenir et ceux qui ont péri seront oubliés. L’exclusion du pouvoir et la non-reconnaissance de ces atrocités restent les principales sources de tensions entre hutus et tutsis. Les plaies sont toujours à vif et une reconstruction pacifique ne saurait avoir lieu tant qu’elles n’auront pas été refermées.

Aux environs du 15 mars 1994, j’étais membre du FPR, deux semaines avant le génocide, j’ai témoigné aux Nations Unies et à Washington que la situation était explosive. Dans mes fonctions de procureur, j’estime qu’il y a eu des crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Je ne peux pas confirmer l’existence d’un génocide. Mais le Haut Commissariat des Nations unies fait état  d’un « génocide » commis sur les réfugiés hutus au Congo. Notre organisation reconnaît ces crimes et le rapport des Nations Unies, et nous sommes pour que la vérité soit connue. Toutes les investigations et enquêtes sur les attaques contre les Hutus et les réfugiés doivent être menées. Mais en tant que membre du FPR et Tutsi, cela ne fait pas de moi un responsable du génocide.

Un génocide a également été planifié à l’encontre des Tutsi en 1994. Je ne crois pas que le président Habyarimana soit à l’origine de ce génocide comme le gouvernement du Rwanda le prétend. En tant que procureur de Kigali, je n’ai aucune preuve de son implication dans le génocide. Mon point de vue est que les personnes qui ont planifié ce génocide l’ont fait après sa mort. Ce qui ne signifie pas que certains membres de ce groupe n’ont pas planifié le recours à des violences avant la mort d’Habyarimana. Je pense qu’il y a un lien entre l’assassinat du président Habyarimana et le génocide, mais cet assassinat ne justifie en rien le génocide. Cela a eu un impact, a peut-être été utilisé comme un prétexte, mais rien ne justifie de tels massacres.

Que savez-vous sur l’assassinat de l’ancien président Habyarimana ? Certains vous reprochent de vous montrer très vague sur cette question ?

L’attaque contre le Président était un crime. Ceux qui en sont responsables doivent être traduits en justice. Je n’étais pas un soldat, je ne suis en rien mêlé à la planification ni à l’exécution de l’assassinat de l’ancien président. Contrairement à Kagame, je soutiens les investigations de la justice française, je ne dis pas que les allégations portées individuellement contre des personnes sont correctes. Quels que soient ceux qui sont mis en cause par les investigations en cours, ils doivent rendre des comptes et s’expliquer devant la justice.

Certains observateurs rappellent votre ascension politique rapide au sein du FPR et estiment que votre organisation n’est intéressée que par la chute de Kagame. Ils s’interrogent sur la pertinence politique qu’il y aurait à remplacer une « élite » tutsi par une autre « élite » tutsi. Que répondez-vous à cela ? 

Je répète que je n’ai personnellement aucune ambition politique. Quant au RNC, ce n’est pas un groupe tutsi. La majorité de nos membres sont des Hutus et notre organisation n’a cessé de croître depuis dix mois. Notre stratégie est de présenter une opposition unie. Mais nous sommes une organisation en exil. Nous cherchons à nous ouvrir et à débattre, à travailler avec d’autres groupes d’opposition. Mais dans le même temps, Kagame dépense beaucoup d’argent pour sa propre propagande dans la diaspora. Il organise des réunions, encore à Paris cette semaine, pour expliquer que ce que nous disons est faux. S’il fait cela, c’est que nous avons quand même un impact. Le changement ne viendra que du compromis, pas des Hutus, des Tutsis ou de la diaspora. C’est pour cela que nous sommes favorables à l’ouverture de négociations sur une transition démocratique qui inclurait toutes les tendances politiques, ethniques, etc. 

Aucun groupe ethnique ne doit dominer un autre groupe, cela vaudrait également si les Hutus accédaient au pouvoir durablement, sans le partager. C’est ce que font les Tutsis aujourd’hui, mais malheureusement dire ça aujourd’hui est impossible, sinon à passer vingt ans en prison.

Ne craignez-vous pas d’ouvrir la boîte de Pandore et de raviver les tensions entre les communautés ?

Nous ne craignons pas d’ouvrir la boite de Pandore car nous croyons que le Rwanda est une bombe à retardement. Les ressentiments sont forts dans les deux communautés. Il n’est plus possible de mettre la poussière sous le tapis. En Bosnie, quand les Serbes ont tué des musulmans, les Serbes ne voyaient dans les musulmans qu’une variante des Ottomans honnis qui avaient conquis la Serbie six cents ans plus tôt. Les comptes de ce conflit n’avaient jamais été soldés. C’est en ce sens que le Rwanda est aussi un volcan prêt à exploser. 

Aujourd’hui, la politique d’exclusion du président Kagame ne fait qu’exacerber les tensions et accentue chaque jour le risque de nouvelles violences.

Sans changements pacifiques, je crains des soulèvements violents. La dictature ne pourra pas durer et sera renversée dans la violence. Mais je ne souhaite pas que le pays en arrive à de telles extrémités compte tenu des terribles précédents qu’a connus le pays. Le changement n’est pas seulement nécessaire. Il est urgent.