Prose colérique de Régine Cirondeye sur les massacres de Gatumba
Opinion

@rib News, 09/10/2011

Gatumba, encore ! Nécrose[1] en prose.

Gatumba.  Encore !

Quel décor, quelle falaise accore ![2]

Oh ! Gatumba des innocents, sur le champ de bataille

D’apprentis politiciens en délire et en désaccord,

Ceux-là même qui sapent la paix à l’épée et le raccord[3]

De nos cœurs encore déchirés et garnis d’entailles. [4]

Meurtriers !  Le Treize Août Deux mille quatre,[5]

Gatumba succomba,

Le Dix-huit Septembre Deux mille onze,[6] jour noirâtre,

Gatumba flamba.

Je pleure, tu gémis, il beugle de chagrin,

Tel des caprins.  

Nous crions, vous sanglotez, ils meuglent de rage,

Face à ce chavirage, à cet orage. Quel naufrage !

Elle hurle de peine de toute haleine, 

Comme une baleine.

Elles versent tant de larmes.

Maudits vacarmes !

En cette instance, rigolez-vous de votre ouvrage, assassins ?

Marcassins[7] de mon Burundi, aux voyelles palatales,

Vous de Cibitoke, de Bubanza, mes contrées natales,   

Tracassins [8] de Muyinga, de Bujumbura Rural, 

Et vous de Gatumba ; dansez-vous la rumba en mocassins ?[9]

Êtes-vous fiers de ce forfait fulgural[10] et conjectural ?[11] 

Cavalez-vous dans les bois, comme un lièvre en fièvre, 

A l’abri du soleil levant, comme une chauve-souris ?

Ou alors, jouez-vous les sapeurs-pompiers si mièvres[12]

Qui s’évaporent en embrun dans des commissions d’enquête,

 « Du déjà-vu » de ces lynx de la nuit qui cachent leurs bistouris

Jusqu’à nouvelle requête ?

Dites-le nous donc du haut de vos antres,[13]

En solo ou accompagnés de chantres.

Allez-vous raconter cet exploit à votre descendance ?

Chanterons-nous cette transcendance[14]

Ainsi que l’image de ces drapeaux et des sourcils en bernes

Dans les anales des encyclopédies modernes ?

Je me dis que le fonds de vos cœurs pleure autant,

Lorsque vous prospectez des cachettes-couchettes,

Ou dépiautez[15] vos alibis en tressautant,[16]

Les mains et les manchettes sur des gâchettes.

Merci ciel. Tous les morts se reposent en paix,

Comme des hommes et des femmes dignes.

« Baryamiye Ukuboko kw’ Abagabo»,[17]

Et nous prions pour eux, sans mot dire,   

Nous souciant peu de leurs cartes de baptême.[18]

Vous portez lourd ce faix,

Et vous mourrez peut-être dans une vigne,

Sans lavabo,

Et nous nous plions, pour vous maudire !

Nous préoccupant peu des chartes de vos barèmes.[19]

Recevez ici, ma colère en prose,

Avant vos premiers signes d’arthrose.[20]

Régine Cirondeye

Ottawa, Canada, Octobre 2011


[1] Nécrose : mortification, humiliation.

[2] Accore : abrupte, rocheuse, rude.

[3] Raccord : Jonction, soudure.

[4] Entailles : Blessures faites par un instrument tranchant. Ici, séquelles des conflits burundais.

[5] Ceci se rapporte à l’assassinat le 13 Aout 2004 de plus de 156 Congolais banyamulenge, réfugiés à Gatumba au Burundi. http://www.hrw.org/fr/reports/2004/09/07/burundi-le-massacre-de-gatumba

[6] Ceci se rapporte à l’attentat de Gatumba le18 Septembre 2011 qui a causé la mort et a blessé plusieurs dizaines de personnes dans un bar à Gatumba au Burundi http://www.rfi.fr/afrique/20110919-attaque-bar-fait-dizaines-victimes-burundi

[7] Marcassins : Sangliers.

[8] Traccassins : Pessimistes, alarmistes.

[9] Mocassins : Chaussures à talon bas.

[10] Fulgural : Frapper comme la foudre.

[11] Conjectural : douteux, hypothétique, hasardeux.

[12] Mièvres: Fades, fannés.

[13] Antes : repères, nids, cachettes.

[14] Transcendance : exploit, excès de zèle.

[15] Dépiauter : écorcher, éplucher, analyser minutieusement.

[16] Tressautant : tressaillant, tremblant

[17] « Baryamiye ukuboko kw’abagabo » : Une expression en Kirundi. Sa traduction libre est « mourir dignement »

[18] De leurs cartes de baptême : De qui ils sont, de leurs ethnies, de leurs appartenances politiques.

[19] Chartes de vos barèmes : De qui vous êtes, de vos rangs sociaux, etc.

[20] L’arthrose : maladie dégénérative qui atteint généralement les personnes âgées. Ici en sémantique poétique, la prose signifie « avant votre mort ».