Maggy Barankitse, « créatrice » d'une génération pacifique
Société

Nord Eclair, 16 octobre 2011

Maggy BarankitseÀ 54 ans, Maggy a créé un «monde» où ni ethnie ni religion ne définissent l'homme. Juste son humanité.

Plus qu'une « mère africaine » aux 50 000 enfants. Maggy Barankitsé, c'est une véritable philosophie de vie, forgée au gré de guerres fratricides qui ont déchiré son pays, le Burundi, et sa vie. Portrait.

Si cette fois-là elle a pris « son pagne et ses boubous pour monter dans le Nord », ce n'est pas pour défendre ses projets autant multiples qu'extraordinaires auprès de potentiels pourvoyeurs de fonds. C'est pour recevoir à l'Université catholique de Lille le titre de Docteur honoris causa.

Le point d'orgue d'une longue histoire entre La Catho et Marguerite - « Maggy », rectifie-t-elle - Barankitsé. Histoire née d'un « choc ». Celui ressenti par Richard Matis, praticien au Groupe hospitalier de l'Institut catholique de Lille, lorsqu'il la rencontra durant un voyage au Burundi avec l'ONG qu'il co-dirige, « Gynécos sans frontières ».

Un choc en soi, interne et vibrant jusque dans le regard de son interlocuteur, que cette femme, qui véhicule par son histoire même les cicatrices indélébiles d'un peuple qui s'est entre-tué. Hutus contre Tutsis. C'est au Rwanda qu'on pense. Mais c'est au Burundi, la patrie de Maggy, qu'il s'est parallèlement joué, avec la même violence. Elle est Tutsie. Mais qu'importe. Quand en 1993 les armes parlent plus fort que les mots, elle cache « 72 personnes » de l'autre ethnie. Elle est dénoncée. Des Tutsis viennent massacrer, sous ses yeux, ceux qu'elle a aidés. Un choc, encore.

« Ce fut le déclic, depuis ce jour, je pousse un long cri d'indignation. Je ne pouvais pas accepter cette guerre fratricide mais je ne savais pas comment dire non. » Elle trouvera.

« Même les évêques me freinaient »

Le 24 octobre 1993, Maggy commence une errance, avec des enfants qu'elle a recueillis et une seule force, sa « foi en l'Homme ». Le lendemain, on lui amène d'autres enfants. Ça ne s'arrêtera plus. L'enseignante de formation réfléchit à la meilleure façon de s'occuper de ces petits, tant hutus que tutsis. Pas d'orphelinat - « On y forme des assistés » -, ni d'agence de l'Onu, un peu pour les mêmes raisons. Elle imagine le concept des « Maisons Shalom ». « Des petites maisons où les enfants sont réunis entre frères et soeurs, où le plus grand est responsabilisé. » Des familles éclatées par la guerre, par la mort des parents, se retrouvent. « Caritas et le Secours catholique ont tout de suite compris » et rapidement aidé au financement. Le but de Maggy : « Créer une nouvelle génération qui va casser le cycle des violences. »

En 2011, 50 000 manuels scolaires, pour autant d'enfants, ont été distribués pour ses protégés. Dans les Maisons Shalom, on vit sans ethnie, que l'on soit hutu ou tutsi, catholique ou d'une autre religion. On est Homme, c'est suffisant. Et pourtant, cette idée universelle, Maggy a dû l'imposer. « Même les évêques me freinaient, ils demandaient : "quelle est la spiritualité de tout ça ?" »...

La religion n'a donc pas forcément guidé Maggy. Elle lui a « juste » permis de rester de ce monde. « Dieu... C'est simplement ce qui m'a aidé à vivre. Sinon, je n'avais aucune raison humainement parlant de continuer. On a tué 60 personnes de ma famille. Quand j'en cachais d'autres, on est revenu m'humilier. »

Aujourd'hui, les idées s'enchaînent encore dans l'esprit lumineux de la Burundaise. Parce qu'on lui a amené, en 2001, 16 bébés dont les mamans étaient mortes du sida, elle a décidé de créer un hôpital. On lui a encore ri au nez. Elle est « montée dans le Nord » pour récolter des fonds, des aides. Elle y est parvenu. La Catho enverra d'ailleurs cet été des étudiants lillois en médecine qui feront leur stage là-bas.

Ce n'est pas encore fini. En ce moment, Maggy crée des coopératives agricoles pour permettre aux malades logés dans son hôpital de se nourrir eux-mêmes, sainement. Une façon aussi de « donner du pouvoir d'achat », histoire de faire en sorte que son pays sorte enfin la tête de l'eau. Mais ce n'est pas gagné. « Les conflits recommencent », soupire-t-elle. Et ce ne sont pas ces cols blancs distribuant des devises sans réfléchir qui vont changer les choses. « On les voit dans les avions, pour venir sauver l'Afrique », rigole-t-elle. Elle regrette que son continent et l'Occident n'aient pas « travaillé d'égal à égal. Il n'y a pas de dialogue. Et les Africains ont le mythe de l'Europe en tête...

Mais nous avons aussi des valeurs à vous apporter. Comme celle d'écouter la vie. Rêver d'un monde où il fait bon vivre. » Ce rêve, Maggy le tient. Coûte que coûte. Et quand on s'étonne de cette force, elle répond en douceur : « La vie, c'est une fête, il faut avoir l'audace de s'émerveiller. »

BÉRANGÈRE BARRET