Mouammar Kadhafi tué après la prise de Syrte
Afrique

@rib News, 21/10/2011 – Source Reuters

Mouammar KadhafiMouammar Kadhafi, qui a dirigé d'une main de fer la Libye pendant près de 42 ans, est mort jeudi quelques heures après la prise de Syrte et deux mois après la chute de son régime.

Le Conseil national de transition (CNT), le pouvoir intérimaire libyen, prévoit d'annoncer la "libération" de la Libye samedi à Benghazi, la grande ville de l'Est libyen d'où le soulèvement contre l'ex-guide de la révolution a débuté en février dernier, et l'Otan a fait savoir que sa mission approchait de son terme.

L'ex-guide de la révolution se cachait depuis la prise de Tripoli par les forces du CNT, le pouvoir intérimaire libyen, le 23 août. Il a été capturé puis a trouvé la mort dans des circonstances encore obscures alors qu'il tentait de fuir sa ville natale.

Parti à l'aube, un convoi de quelque 80 véhicules à bord duquel il avait pris place a été "stoppé" à quelques kilomètres de Syrte par une unité aérienne de l'Otan, dont un avion français, a déclaré le ministre français de la Défense Gérard Longuet. Un drone Predator était impliqué, a déclaré ensuite un responsable de l'Otan.

D'après les récits de combattants du CNT, Mouammar Kadhafi a réussi à sortir vivant du raid et s'est réfugié avec ses derniers fidèles dans deux conduites d'évacuation d'eaux usées d'un mètre de diamètre où les "révolutionnaires" l'ont retrouvé.

Les images du corps sanglant et dénudé de Mouammar Kadhafi, prises à l'aide d'un téléphone portable, ont été diffusées par des télévisions du monde entier. D'autres images l'ont montré en vie au moment de sa capture, le visage en sang, entouré de combattants du CNT.

"TABASSÉ ET TUÉ"

Le chef du gouvernement du CNT, Mahmoud Djibril, a déclaré qu'il avait succombé à une blessure par balle à la tête reçue lors d'une fusillade entre ses gardes et les combattants du CNT alors qu'il venait d'être placé à bord d'une camionnette.

Mais une source haut placée du CNT a déclaré que les soldats l'avaient capturé vivant "et alors qu'il allait être transporté, ils l'ont tabassé et ensuite ils l'ont tué".

Sa dépouille a été transportée à Misrata, ville martyre des combats qui ont abouti à la chute du régime kadhafiste. Le CNT prévoit de l'inhumer discrètement et rapidement dans un lieu tenu secret.

Les dirigeants occidentaux, dont les armées ont largement contribué à la chute de Mouammar Kadhafi, ont salué la mort de Mouammar Kadhafi comme une étape historique et le début d'une nouvelle ère pour la Libye.

L'Otan a souligné qu'avec la disparition du guide libyen, sa mission, lancée en mars dernier, officiellement pour "protéger les populations civiles" en vertu de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'Onu, approchait de son terme. L'Alliance mettra fin à sa mission en coordination avec l'Onu et le CNT, a déclaré son secrétaire général Anders Fogh Rasmussen.

"Une nouvelle page s'ouvre pour le peuple libyen, celle de la réconciliation dans l'unité et la liberté", a estimé Nicolas Sarkozy, à l'initiative, avec le Britannique David Cameron, de l'intervention de l'Otan en Libye il y a sept mois.

La mort de Kadhafi prouve que les régimes brutaux "finissent inévitablement par disparaître" et "marque la fin d'un long et douloureux chapitre pour le peuple libyen", a déclaré Barack Obama.

Le secrétaire général de l'Onu Ban Ki-moon a parlé d'une "transition historique" pour la Libye et la chancelière Angela Merkel a déclaré que l'Allemagne était "soulagée" de voir s'achever une "guerre sanglante menée par Kadhafi contre son propre peuple".

Seule note discordante dans ce concert, le président vénézuélien Hugo Chavez a dénoncé l'assassinat d'un martyr.

"LIBRES, C'EST TOUT CE QUI COMPTE"

Né en 1942, l'ex-guide avait accédé au pouvoir en septembre 1969. Il a été emporté par le "printemps arabe" à la suite du Tunisien Zine ben Ali et de l'Egyptien Hosni Moubarak.

A Tripoli et dans les grandes villes du pays, les Libyens ont fêté la nouvelle en tirant en l'air et en agitant le nouveau drapeau national, rouge, noir et vert.

"Nous sommes libres, c'est tout ce qui compte", a déclaré Ali Djilani Chiha, un habitant de la capitale. "Nous ne pensons pas à ce qui viendra après. L'important est que ce dirigeant cruel ait disparu."

Les derniers résistants de Syrte, port de pêche dont Mouammar Kadhafi voulait faire la nouvelle "capitale de l'Afrique" et aujourd'hui en ruines, ont rendu les armes dans la matinée. Un autre fief kadhafiste, Bani Walid, au sud-est de Tripoli, a été pris il y a deux jours.

Deux fils de Kadhafi, Moutassim et Saïf al Islam, se cachaient également à Syrte. Moutassim a été tué alors qu'il tentait de résister à ses gardes, selon un responsable militaire du CNT. Son corps a été exposé dans une maison de Misrata où des habitants se relayaient pour le voir et prendre des photos avec leurs téléphones portables.

Le conseil intérimaire au pouvoir a dit ignorer le sort de Saïf al Islam, son fils politiquement le plus engagé, qui aurait été cerné par des combattants en tentant de fuir la ville.

Le pouvoir intérimaire libyen a également annoncé la mort de son ministre de la Défense, Aboubaker Younès, et l'arrestation de son ancien porte-parole, Moussa Ibrahim.

Mouammar Kadhafi était réclamé par la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, qui l'avait inculpé de crimes contre l'humanité et avait diffusé un mandat d'arrêt à son encontre. Sa mort évite un long procès qui aurait pu diviser la Libye et embarrasser des gouvernements occidentaux.

Les nouvelles autorités ont devant eux un immense chantier.

La Croix-Rouge a rappelé jeudi que des charniers étaient encore découverts régulièrement en Libye et que de nombreux corps dans les hôpitaux ou au bord des routes n'étaient pas réclamés.

Les ethnies, tribus et régions libyennes sont divisées et le pays doit fait l'apprentissage de la démocratie, se réconcilier, et relancer l'extraction pétrolière, sa principale source de revenus.

L'Otan, Barack Obama, Nicolas Sarkozy ont tous lancé des appels à l'unité.

"Il est temps de bâtir une nouvelle Libye, une Libye unie", a déclaré Mahmoud Djibril. "Un peuple, un avenir."


Mort de Kadhafi : Portrait du guide de la Libye

France Soir, 21 octobre 2011

Mouammar Kadhafi a succombé à ses blessures jeudi matin après que son convoi a été attaqué conjointement par l'OTAN et le CNT.

Il était recherché, traqué depuis le 23 août. Il aura donc fallu attendre le 20 octobre pour que Mouammar Kadhafi soit retrouvé à Syrte, ville dans laquelle il est né. Annoncé gravement touché aux jambes en premier lieu, il a ensuite succombé à ses blessures. La mort du guide libyen met fin à 42 ans de règne. Faisant face à une insurrection sans précédent qui dure depuis plus de quatre mois, le colonel Kadhafi, 69 ans, plus ancien dirigeant arabe et africain, s'était toujours accroché au pouvoir, malgré la pression internationale et les bombardements de l'Otan.

Né, selon sa propre légende, sous une tente bédouine dans le désert de Syrte le 7 juin 1942, Mouammar Kadhafi, fils de berger de la tribu des Kadhadfa, reçoit une éducation religieuse rigoureuse avant d'entrer dans l'armée en 1965. Il a 27 ans quand il renverse le vieux roi Idriss le 1er septembre 1969, sans qu'une goutte de sang ne soit versée. En 1977, il proclame la « Jamahiriya » qu'il définit comme un « Etat des masses » qui gouvernent par le biais de comités populaires élus, et s'attribue le seul titre de Guide de la révolution. Son pouvoir reste intact.

Son style de vie, ses tenues traditionnelles, sa façon fantasque d'exercer le pouvoir sur cet immense et riche pays pétrolier peu peuplé, apparaissent incongrus et imprévisibles pour les Occidentaux, mais aussi pour les Arabes. En saharienne kaki, en uniforme militaire chamarré d'or ou en gandoura, la robe des Bédouins, Kadhafi aime recevoir sous la tente, à Syrte ou dans la cour de la caserne Bab al-Aziziya, à Tripoli. Séducteur, il apprécie la compagnie féminine. Entouré souvent par des femmes en tenue de soldat, ses « amazones », il se nourrit frugalement, notamment de lait de chamelle. Personnage théâtral, il se singularise par des actes et des propos qui ont amusé le monde, distribuant les affronts à ses pairs arabes ou émettant des théories très personnelles sur l'histoire et les hommes.

"Les élections, c'est une mascarade"

Lors d'un sommet arabe en 1988, on le voit la seule main droite gantée de blanc. Il explique qu'il veut ainsi éviter de serrer des « mains tachées de sang ». Au sommet suivant, il se trouve à côté de l'ex-roi saoudien Fahd. Fumant un gros cigare, il se tourne ostensiblement vers son voisin chaque fois qu'il exhale la fumée. Son Livre vert, instituant la « Jamahiriya », affirme que la démocratie ne peut être établie par les urnes. « Les élections, c'est une mascarade », dit-il. Dans les années 1990, Kadhafi, affaibli sur la scène internationale, déçu par ses partenaires arabes, se tourne vers le continent noir.

Elu à la tête de l'Union africaine début 2009, il donne le ton de sa présidence en demandant à ses pairs de l'appeler désormais « Roi des rois traditionnels d'Afrique ». Après une année chaotique où ses prises de position dissonantes brouillent l'image de l'institution, il cède la place au président du Malawi. Traité pendant des décennies de chef d'un Etat « terroriste », il décide de se réconcilier avec l'Occident. En 2003, à la surprise du monde entier, il annonce le démantèlement de ses programmes secrets d'armement. Il reconnaît ensuite la responsabilité de son pays dans les attentats contre un avion américain au-dessus de Lockerbie, en Ecosse (270 morts en 1988) et un avion français au Niger (170 morts en 1989), et verse des indemnisations aux familles des victimes.

Ouverture vers l'Occident

L'ex-paria s'ouvre enfin à l'Occident. Kadhafi reçoit les dirigeants occidentaux, tandis qu'à l'étranger on lui déroule le tapis rouge, comme à Paris puis à Rome, suscitant des polémiques. Fort de son pétrole, il réussit en 2008 à solder son passé avec l'Italie en obtenant des excuses et des dédommagements de Rome pour la période coloniale. Plus récemment, il fait plier la Suisse qui lui présente ses excuses, un an après l'arrestation d'un de ses fils, Hannibal, pour des violences sur ses domestiques.

Et il accueille triomphalement Abdelbasset al-Megrahi, condamné pour l'attentat de Lockerbie, libéré pour raison de santé. Kadhafi a été confronté à une révolte contre son pouvoir le 15 février. La contestation s'est rapidement transformée en guerre civile et l'ex-leader avait pris la fuite après la chute de son QG à Tripoli en août. La fin de l'histoire s'achève en ce 20 octobre. Une page se tourne pour la Libye.