GRANDS LACS : Tenter d’éviter que l’histoire se répète |
Afrique | |||
IRIN, 10 novembre 2008
« La seule solution que les gens essayent est d’avoir recours à la force militaire. Aucune solution militaire ne permettra de régler la situation [dans l’est de la RDC] », a déclaré à IRIN Jan van Eck, ancien député sous le régime du Congrès national africain, en Afrique du Sud, et négociateur depuis 12 ans dans la région agitée du centre de l’Afrique. Il y a un an, M. van Eck avait prédit un nouveau conflit important dans l’est du Congo, malgré les accords de paix globaux signés en 2003, le Rwanda n’ayant pas assuré le plein exercice de leurs droits politiques aux Hutus rapatriés, dont certains avaient fui à la suite du génocide de 1994. « De toute évidence, tant qu’une nouvelle stratégie n’aura pas été adoptée –une stratégie axée sur le traitement des causes profondes et réelles du conflit-, la région se dirigera irrévocablement vers une nouvelle crise majeure », avait écrit M. van Eck dans un article publié en novembre 2007 et intitulé « Ignorer le cancer ethnique qui ronge le Congo exclut toute paix véritable ». « Dans un tel cas de figure, non seulement l’est de la RDC sera happé, mais aussi ses voisins à l’est, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, puisque le conflit ethnique qui fait rage actuellement dans l’est congolais trouve son origine dans ces pays », avait-il dit. Le génocide rwandais, qui aura duré 100 jours et au cours duquel 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont été massacrés, est reconnu comme la folie meurtrière la plus efficace du 20e siècle, puisqu’il a même éclipsé le rythme funeste des camps de concentration de l’Allemagne nazie. Selon M. van Eck, cela a suscité « un sentiment de culpabilité » chez les 140 signataires de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Adoptée en décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies, dans le sillage de la Deuxième Guerre mondiale, et entrée en vigueur en 1951, la convention oblige ses signataires à agir face au génocide. Le gouvernement de l’ancien président américain Bill Clinton –sous le coup du décès de 17 US Army Rangers, en 1993, à Mogadiscio, capitale de la Somalie- s’était soustrait à ses obligations en vertu de la convention, en faisant allusion au génocide par le terme « G-word » (« le mot qui commence par g »), et en évoquant des « actes de génocide ». Ce sentiment de culpabilité, selon M. van Eck, a en grande partie protégé le président rwandais Paul Kagamé de la critique internationale, mais si M. Kagamé n’autorise pas la formation d’un « parti hutu qui ne soit pas anti-tutsi », l’instabilité restera une caractéristique omniprésente de l’est du Congo. « Bien que dans certains cercles, il peut être considéré comme politiquement incorrect de le reconnaître, cela reste un fait crucial que trop de gens essaient d’ignorer », a affirmé M. van Eck. Un groupe séparatiste issu des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (les FDLR, composées de Hutus impliqués dans le génocide et qui avaient fui le Rwanda à la suite de celui-ci, ainsi que de personnes opposées au gouvernement de M. Kagamé) s’est notamment vu refuser une place sur la scène politique rwandaise, ce qui a contribué à alimenter le cercle vicieux du conflit dans la région. « Tant que le Rwanda n’aura pas libéralisé sa situation politique interne et permis une liberté d’expression politique et ethnique, il restera sous la menace des Hutus politisés, dont la plupart sont soit en RDC, soit membres de la diaspora », a dit M. van Eck. La Deuxième Guerre mondiale de l’Afrique ? Les facteurs à l’origine de la guerre de 1998 sont encore d’actualité, selon M. van Eck ; une guerre désormais connue comme la « Première Guerre mondiale africaine » parce que les armées de plusieurs pays de la région –l’Angola, le Burundi, la Namibie, le Rwanda, l’Ouganda et le Zimbabwe- y avaient participé. Au cours des huit dernières semaines, le conflit entre l’armée congolaise et le Congrès national pour la défense du peuple de Laurent Nkunda –un mouvement rebelle qui opère dans l’est congolais malgré la présence de la MONUC, la mission de maintien de la paix des Nations Unies- a fait plusieurs centaines de morts, au sein des populations civiles et dans les rangs des combattants, et plus de 250 000 déplacés, dont bon nombre en sont à leur deuxième ou troisième déplacement en quelques années, et provoqué une situation humanitaire de plus en plus désespérée. Depuis 2003, le Rwanda a menacé à plusieurs reprises d’envahir l’est du Congo pour traquer les « génocidaires ». Le pays s’était exécuté en 1996, ce qui avait abouti au renversement du despote congolais Mobutu Sese Seko, et de nouveau en 1998, se retournant contre son ancien allié, Laurent Désiré Kabila, et déclenchant ainsi le conflit de 1998-2003. Ileka Atoki, ambassadeur de la RDC aux Nations Unies, a récemment affirmé que le pays détenait la preuve de la présence des forces rwandaises en RDC, une information niée avec véhémence par le Rwanda. Le groupe rebelle de M. Nkunda est réputé pour être militairement bien supérieur à une armée congolaise hétéroclite, accusée de combattre aux côtés des miliciens hutus, que le gouvernement de Kinshasa s’est engagé à désarmer. Henri Boshoff, analyste militaire à l’Institut d’étude sur la sécurité, une cellule de réflexion sud-africaine, a indiqué dans un bulletin d’information sur la situation de sécurité, daté du 31 octobre, que les derniers affrontements n’étaient autres qu’un nouvel épisode de la « somalification » de la RDC, une allusion aux violences fratricides ininterrompues qui font rage en Somalie depuis la chute du président Siad Barre en 1991. Pour M. Boshoff, la situation actuelle est le résultat de nombreux facteurs, notamment du fait que le processus de désarmement n’a pas été mené à terme, de l’absence d’une armée congolaise forte, et de ce que la force de maintien de la paix n’a pas reçu de « directives claires concernant l’exécution de son mandat, les règles d’engagement et le recours de la MONUC à la force ». Le lieutenant général Vicente Diaz de Villegas, commandant de la MONUC, a récemment démissionné après sept semaines de fonction, pour des « raisons personnelles ». Selon M. Boshoff, pourtant, la véritable raison de son départ pourrait être « l’ambiguïté [du mandat de la MONUC] quant au recours à la force », ambiguïté qui a empêché la force d’être véritablement efficace. Pour éviter l’équivalent d’un génocide rwandais dans l’est du Congo, M. Boshoff a recommandé que « les affrontements cessent, et qu’en parallèle, un processus de médiation entre le Rwanda et la RDC soit engagé d’urgence ». Des efforts en faveur de la paix Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations Unies, a pris part à un sommet d’urgence de l’Union africaine, organisé avec le soutien des Nations Unies à Nairobi, la capitale kényane, le 7 novembre, en présence du président congolais Joseph Kabila et du président rwandais Paul Kagamé. Tandis que s’ouvrait le sommet, de nouveaux affrontements éclataient près de Goma. La Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) abordera également la question de la RDC, Etat-membre de l’organisme régional, à l’occasion d’un sommet extraordinaire convoqué à Johannesbourg le 9 novembre pour tenter de sortir le Zimbabwe de l’impasse politique. « Le seul moyen de faire cesser les affrontements, c’est de faire en sorte que la MONUC exécute son mandat, c’est-à-dire qu’elle protège les civils des menaces de violence imminentes qui pèsent sur eux. Si la MONUC ne parvient pas à exécuter son mandat par manque de moyens, il faudra déployer une force d’intervention dans les prochains jours », préconise M. Boshoff. Toutefois, ni la SADC, ni l’Union africaine (UA) ne dispose des moyens militaires nécessaires ; « la seule puissance dotée des moyens nécessaires pour projeter de la force dans des délais aussi brefs serait un Groupement tactique de l’Union européenne », a commenté M. Boshoff. Selon les informations communiquées le 6 novembre, une force sud-africaine de 1 000 hommes, déployée près de Goma, dans la province du Nord-Kivu, dans le cadre de la MONUC, a reçu l’ordre de s’opposer aux forces de M. Nkunda, si celles-ci devaient s’approcher de Goma. Les forces de M. Nkunda se trouvent à environ 10 kilomètres de la ville. « Si des groupes armés, quels qu’ils soient, cherchent à entrer dans Goma, les règles d’engagement des Nations Unies et le chapitre sept [de la Charte des Nations Unies] sont suffisamment clairs : dans ce cas de figure, l’ordre à donner est de tirer », a déclaré à la presse Alain le Roy, qui dirige la MONUC, au cours d’une séance d’information, à Goma. [FIN] [Les informations vous sont parvenues via IRIN, un département d'informations humanitaires des Nations Unies, mais ne reflètent pas nécessairement les vues des Nations Unies ou de ses agences] |