Rwanda : le rapport Trévidic ne clôt pas le dossier
Afrique

Marianne | 12 Janvier 2012

En charge du dossier de l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président Habyarimana, à l'origine du déclenchement du génocide rwandais, le juge Trévidic a ordonné des investigations techniques qui ont relancé l'enquête. Révélées mercredi dans un rapport de 400 pages, ces investigations apportent des élements nouveaux sur le plan géographique qui tendent à invalider la thèse Bruguière. Même s'il apparaît prématuré d'en tirer des conclusions définitives sur l'identité des auteurs de l'attentat.

Il aura fallu attendre 18 ans pour qu’un rapport balistique apporte des éléments nouveaux dans l’assassinat du président rwandais Habyarimana en 1994. Un attentat considéré comme étant à l’origine du génocide rwandais.

Destinée à localiser le point de départ du tir du missile qui a abattu le Falcon 50 du président hutu Juvénal Habyarimana, et dévoilée en partie par le journaliste Frédéric Helbert sur son compte twitter, les conclusions de ce rapport de 400 pages invalident la « thèse bruguière ». pour incriminer le camp adverse des extrémistes hutus

Sur son blog, la journaliste Colette Braeckman explique la démarche des juges français : « En septembre 2010, accompagnés de six experts, des Français mais aussi deux Ecossais, les magistrats français Marc Trevidic et Nathalie Poux, se sont rendus au Rwanda. Avec eux se trouvaient un représentant du parquet, un policier de la brigade criminelle, des techniciens du laboratoire de la police scientifique et des avocats des deux parties. Sur place, l’équipe a procédé à des relevés de terrain, des analyses des points d’accrochage des missiles, des simulations. Mais surtout, les membres de la mission ont entendu des témoins directs avant vu ou entendu les tirs de missiles. C’est alors qu’ont été requis les services d’un acousticien : se fondant sur les témoignages de ceux qui avaient entendu le départ des missiles, l’expert  a tenté de déterminer le périmètre d’où ce bruit de souffle avait pu être entendu et il est apparu que les missiles avaient été tirés à une distance de 1000 à 3000 mètres du point de chute de l’avion qui se trouvait en phase d’atterrissage. Cette conclusion s’est avérée déterminante, car elle mena au camp Kanombé, où seule avait accès la garde présidentielle mais où se trouvaient également des coopérants militaires français et belges ».

Des missiles de conception soviétique qui posent question

Les six experts mandatés par le juge Marc Trévidic excluent que les tirs de missiles soient partis de la colline de Masaka à Kigali, tenue par le Front Patriotique Rwandais de Paul Kagamé. « Les experts démontrent qu'un seul Missile SA16 a pulvérisé le réservoir du Falcon dans une trajectoire sol-air gauche-droite » écrit Frédéric Helbert.
« Le tir des deux missiles dont le second a abattu l’avion Falcon 50 présidentiel, a pu avoir lieu depuis le camp de Kanombé, à proximité des maisons de coopérants belges » écrivent les experts.

Le camp militaire de Kanombé, tenu par les loyalistes, entourait la résidence du chef de l’état ce qui exonère les proches de l'actuel président Paul Kagame mis en examen, a affirmé leur avocat, Me Bernard Maingain : « Toute la thèse qui avait été construite visant à accuser nos clients est entrain de s'effondrer totalement ». Le rapport d'expertise français a été accueilli avec une grande satisfaction à Kigali. Pour la Ministre rwandaise des Affaires étrangères « il est clair pour tous désormais que l'attentat contre l'avion était un coup d'Etat mené par des extrémistes hutu et leurs conseillers ».

Un renversement de perspectives un peu prématuré. Si le rapport apporte des éléments techniques inédits, il n’exonère pas totalement Kigali.

Le rapport d'expertise n'avait d’ailleurs pas pour objet d'identifier les auteurs du tir de missiles mais seulement de localiser l'endroit d'où ils ont été tirés.

Loin des éditorialistes revanchards et exaltés qui pointent l'ultime défaite des « négationnistes », l'avocat de la veuve du président Habyarimana, Me Philippe Meilhac, s'est montré plus prudent sur les conclusions à tirer de l'expertise.

« Il y a une forme de nouveauté par rapport au lieu de tir présumé des missiles qui ont abattu l'avion, mais il y a aussi un grand nombre de confirmations », a-t-il affirmé. Selon Me Meilhac, « il s'agissait de missiles de conception soviétique qui nécessitaient, ainsi que nous l'ont dit les experts, une formation technique très précise qui n'a jamais été assurée auprès d'aucun élément de l'armée rwandaise ».

L'idée que les hutus sont à l'origine de l'attentat n'éclairent pas toutes les zones d'ombres. 

Par ailleurs, le camp de Kanombé était un camp militaire tenu par les FAR, les Forces armées rwandaises mais ce camp est très vaste. « Etait-il impénétrable? Etait-il impossible de s'y infiltrer à l'époque en 1994?  Ni les experts ni les juges français qui se sont rendus sur les lieux 16 ans après les faits, ne sont en mesure de le dire aujourd'hui » interroge RFI.

Une enquête à poursuivre

Dès les conclusions du rapport connues, Théogène Rudasingwa, à l’époque, secrétaire génral du FPR, a tenu à répondre au juge Trévidic : « Ni moi-même, ni aucun autre des nouveaux témoins capables et disposés n’avons pu rencontrer le Juge Marc Trévidic, ou tout autre Tribunal international pour leur donner les vraies informations sur les évènements relatifs aux tirs qui ont abattu l’avion.
Aujourd’hui, le 10 janvier 2012, le juge français marc Trévidic chargé de l’enquête sur le crime terroriste de 1994, a rendu publiques les conclusions du rapport technique fournies par des experts en balistique. Le rapport affirme notamment que

a) les experts penchent plus vers la version des fait selon laquelle le missile qui a abattu l’avion serait parti de plusieurs endroits et en particulier des environs de Kanombe a Kigali

b) les missiles étaient de fabrication russe et avaient été livrés par l’Ancienne Union Soviétique

c) les avocats et les autres parties intéressées ont jusqu’à trois mois pour contester tout éléments relatif au rapport.

A cet égard, je voudrais souligner ce qui suit :

1. Le fait que les missiles aient été tiré des environs de la zone de Kanombe ne signifie nullement que Kagame n’a pas commis le crime ;

2. Le fait que les missiles étaient d’origine soviétique constitue un élément technique essentiel pour déterminer le véritable coupable ;

3. Nous avons encore le temps, (moi-même et les autres témoins intéressés et nouveaux) pour répondre intégralement au rapport technique et donner des témoignages crédibles au juge Marc Trévidic ou à toute autre juridiction internationale, pour démontrer avec précision que Kagame est l’auteur de ce crime terroriste ».

Sur un plan technique et géographique, cette étude apporte donc indéniablement des éléments nouveaux qui tendent à disculper le Front populaire rwandais (FPR) - l'armée rebelle d'alors, dirigée par l'actuel président rwandais, Paul Kagamé - de la responsabilité de l'attentat, hypothèse retenue jusque là par le juge Bruguière. Néanmoins, elle n’apporte pas de vérité définitive sur l’identité des tireurs et des commanditaires de l’attentat. Le champ d’investigation se resserre mais l’enquête du juge Trévidic n’est pas terminée et doit désormais se concentrer sur les auteurs de l’attentat et des personnes présentes le 6 avril dans le camp de Kanombé…

Régis Soubrouillard