Culte du mensonge et du silence sur le génocide de 1972 au Burundi
Analyses

@rib News, 29/04/2012

Avril 1972… la conspiration du silence et une (im)possible réconciliation.

Par Salvator Sunzu, journaliste

De 1961 à 1972 (pour ne s’arrêter que là) des centaines de milliers d’innocents ont été fauchés. Parmi les plus illustres figurent, le père de l’indépendance, le Prince Louis Rwagasore, l’ancien premier ministre Pierre Ngendandumwe. Jusque au début des années 80, la photo de ce dernier trônait dans tous les bureaux administratifs de l’Etat. Il avait en effet été proclamé Héros national. Et c’est à ce titre que l’on tenait à l’immortaliser. Mais aujourd’hui rien. Aucune trace.

C’est à peine si l’on se souvient encore de Paul Mererekano, compagnon de lutte de Louis Rwagasore, lui aussi tués dans des circonstances tout aussi pour le moins obscures. ET que d’éloges pour ce personnage hors pairs de la part de ce qui l’on connu, toute ethnie confondue par ailleurs ! Mais évoquez les circonstances de sa mort, et tout le monde se rebiffe.

1972 fut le sommet de l’horreur, un véritable génocide a été perpétré par l’Etat que dirigeait Michel Micombero. Ironie du sort, le portrait-photo de ce dernier trône majestueusement a l’entrée des bureaux de l’actuelle et illustre Assemblée Nationale, à titre d’ancien président de la République. C’’est à ce même titre que sa famille touche les émoluments qu’Arusha a gracieusement accordé à ce cercle restreint d’anciens chef d’Etat.

Génocide donc en 1972, et 40 ans après le mystère subsiste. Que d’intellectuels, de fonctionnaires, des militaires et policiers, des étudiants, des élèves, des paysans, par milliers ont été horriblement fauchés ! Et le silence continue à peser, les bourreaux n’ayant jamais été inquiété, même à titre posthume. Ce silence est de nature à compromettre la paix à long terme. Ce silence là, ce n’est pas le silence des morts, mais celui des vivants. Les victimes sont connues, elles sont même aujourd’hui comptabilisables. Les bourreaux sont tout aussi connus. Car  le crime des crimes a été perpétré par l’Etat et son appareil. Ce n’est pas une ethnie qui a commis un génocide contre une autre, mais un Etat qui a instrumentalisé une ethnie pour se débarrasser définitivement d’une autre ethnie, devenue ennemie de la nation pour les besoins d’une cause.

Cet Etat là continue de nous hanter. Les acteurs volontaires et involontaires encore en vie du génocide préfèrent garder un silence épais autour du drame. Sinon, comment l’on n’ait pas pu retrouver les restes du roi Ntare V (qui pourtant aurait pu être un dénominateur ethnique commun), alors que certains des dignitaires de l’époque, sont toujours en vie ? Ceux qui ont habilement négocié le retour de Ntare V et accompagné le dernier roi du Burundi durant son calvaire Kampala-Bujumbura sont là. Certains de ceux qui ont pris les grandes décisions au niveau national et provincial sont là. Beaucoup de complaisent dans un silence troublant ou, dans l’hypothèse la plus optimiste, ils attendent  le moment opportun pour tout déballer.

Ce culte du mensonge et du silence risque de peser pour beaucoup dans la suite du processus de réconciliation. A la lecture de certains écrits tant dans les journaux que sur les toiles, il se dégage une nette impression que certains groupes sont entrain d’aiguiser les couteaux, par la déformation des faits, ou par la tentative de transformer les victimes en bourreaux et vice-versa. La vérité est têtue comme des chiffres, disent certains, mais une vérité sociologique est historique doit être révélée, connue et entretenue, pour qu’elle ne s’oublie pas. Personne ne semble avoir été offusqué par l’échec des plus grands chercheurs et spécialistes belges qui ont séjourné dans ce pays pour trouver la vérité sur la personne du roi Charles Ndizeye. Et pourtant cet échec est un signe prémonitoire de l’échec que vont subir les Burundais dans leur quête de la vérité et donc de la réconciliation. Tout le problème repose sur le fait que la vérité est connue de tous, mais que certains sont incapables de la reconnaître ouvertement et publiquement, et donc de l’assumer. Certains voudraient même marchander la vérité, en tirer des bénéfices politiques. Si les témoins burundais ne sont pas prêts à parler, il faudra faire appel à des témoins et spécialistes étrangers ou certaines des traces qu’ils ont laissé. Ainsi, citant le rapport d’une mission spéciale de l’ONU, conduite par Issouffou Djermakoye qui a séjourné au Burundi du 22 au 28 juin 1972, le Secrétaire Général de l’ONU de l’époque, Kurt Waldeim indique que "les dimensions de la tragédie humaine que connaît le peuple du Burundi est effarante". Il ne parle pas encore de génocide.

Un homme d’Eglise, le Chanoine Pirard criera dans le désert en indiquant notamment que "Les choses en sont arrivées (au Burundi) à un point tel que l'armée procède à l'élimination des hutu non pas pour ce qu'ils ont pu faire, mais pour ce qu'ils pourraient faire, et spécialement lorsqu'il s'agit de personnes ayant reçu ou en train de recevoir une éducation. On va chercher des élèves dans les écoles pour les tuer... Les massacres nécessitent des camions pour transporter des corps des suppliciés, et des bulldozers pour les enterrer. Et, répétons-le, ils continuent. (...) J'ai vu des centaines de personnes embarquées dans trois cars. On les a fait passer entre des haies de "jeunesses révolutionnaires Rwagasore" qui les ont battues à coup de gourdins. On a laissé mourir les victimes de leurs blessures, et des camions les ont ensuite déposées dans des charniers. En un jour, une religieuse a vu passer plus de dix camions chargés chacun de plus de deux cents cadavres"(...).

Le Chanoine ne s’est pas arrêté là. Horrifié par l’horreur, il aurait écrit au président Micombero pour lui dire entre autre : "Vous devriez savoir, Monsieur le Président, que lorsqu'un peuple n'a pas le moyen de s'exprimer à travers les institutions d'une République qui n'a ni Constitution ni Parlement, il s'exprime dans la rue ou sur les collines. Alors, qu'avez-vous fait pour porter remède aux causes profondes qui déchirent aujourd'hui le Burundi ? Vous êtes en train de stériliser une race et à travers elle tout un peuple". (Le Soir., 24 mai 1972).

Le témoignage de ce coopérant français de l’époque est tout aussi éloquent : « Par camions entiers on transporte nuit et jour des cadavres. On arrête tous les "suspects". On les oblige à se dévêtir. On les fait coucher à plat ventre, les mains derrière la nuque. On les cogne à coups de crosse, de bâtons, de pierre. On les torture. Puis on les transperce à la baïonnette. Ces bulldozers font le reste. Sans parler des innombrables règlements de compte! Dans les écoles, les élèves Tutsi assassinent leurs camarades à coups de pierres, de machettes, de bâtons ... »

Ce sont des horreurs que certains parmi nous, les vivants et survivants, ont vécu en tant que victimes et/ou bourreaux. Les seules traces indélébiles de la tragédie sont les sanglots toujours frais dans les ménages d es disparus et les pertes de repères sociopolitiques qui nous hantent chaque jour. Le jour où, dans un élan sublime de vérité et de réconciliation, le bourreau décrira lui-même ce qu’il a fait, sans attendre que les autres viennent le lui faire dire, et le jour où, dans un élan tout aussi sublime de réconciliation, la victime dira au même moment un ‘’je te pardonne’’ sans arrière pensée, ce jour là ce sera la fin des tous les malentendus. Ce jour là, on commencera à appliquer certaines thérapie gracieusement préconisées par des spécialistes, dont celles, si clairement expliquées par le philosophe et écrivain français de confession juive, Bernard- Henri Lévy à notre confrère Innocent Muhozi dans un long entretien diffusée sur Télé Renaissance, lequel entretien portait sur les stratégies de réconciliations dans un contexte de l’après génocide. L’interview de BHL est très pédagogique en matière de paix et réconciliation. Je crois l’avoir suivi en 2008 ou 2009. Télé Renaissance devrait le rediffuser régulièrement pour le bien des Burundais et pour la réconciliation. On s’étonne d’ailleurs de ce qu’une émission aussi riche soit pratiquement placardée, alors que le contexte appelle à sa plus grande diffusion.

Certes, l’appel à des élans sublimes relève d’une certaine candeur, d’une naïveté. Les enjeux de ce grand déballage eux sont plus politiques que religieux. Dans tous les cas, où il aura lieu, et la réconciliation aussi, ou il n’aura pas lieu, et les conséquences ne tarderont pas à se faire voir. Une invitation à une cérémonie à l’occasion de ce 40ème anniversaire de la tragédie a été lancée par la diaspora burundaise, crois-je avoir lu sur la toile, accessible à une très fine minorité de la société burundaise. Le message aura-t-il passé ? On le verra et en tout cas bravo aux initiateurs.


NdlR : 1. A l’âge de 13 ans, Salvator Sunzu perd son père Musita Sylvestre, son frère Ndayikengurukiye Laurent, son oncle paternel Rudaradangwa Benjamin et ses deux oncles maternels Toyi Tharcisse et Karikurubu Charles. Son père et son oncle paternel furent enterré dans une fausse commune à Matana tandis que son frère et s es deux oncles maternels furent tués et enterrés à Bujumbura.

2. Les citations ici reproduits ont été puisées sur Internet citant parfois des sources de la presse. L’auteur n’en garantit pas l’authenticité.