Burundi : La continuité de l’Etat caution de massacres et spoliations ?
Opinion

@rib News, 03/01/2013

La problématique de la terre au Burundi :

empoignades électorales par la CNTB interposé

 Par Salvator Sunzu, Journaliste

La CNTB est aujourd’hui sur toutes les lèvres. Elle fait la Une des journaux et des ragots des bistrots. L’homme d’Eglise Mgr Sérapion, ("sobriqueté" de Scorpion par ses détracteurs) qui dirige la Commission Nationale Terre et autres Biens a une délicate et périlleuse mission : celle de remettre les victimes du génocide et de la barbarie innommable de 1972 dans leurs droits fonciers. Les victimes seraient des Tutsi prétendument fauchés par une rébellion fantomatique appelée à l’époque "Les Mulele", comme les Hutus décimés par une clique sanguinaire et génocidaire avec à sa tête l’innommable M…

Une grande parenthèse à propos de ce dernier : Le portrait du "Führer burundais" trône majestueusement aux côtés de ceux des Ndadaye, Buyoya et consort, à l’entrée intérieure des enceintes de l’auguste Assemblée nationale. Personne de nos honorables ne semble offusqué par cet emplacement. D’aucuns réclament pourtant que ce portrait soit couvert d’un linceul noir pour épargner les locataires et visiteurs de ces bâtiments d’un visage de celui qui a plongé le pays dans l’horreur, fauchant les innocents et créant des situations inédites de type de ceux d’aujourd’hui où on exige d’un citoyen de partager son bien avec son vrai ou supposé bourreau. Qui des Rwandais supporterait la présence du portrait de Havyarimana Juvénal dans les couloirs de Parlement rwandais ?

Situation inédite aussi car mal ou faussement appréhendée par bien d’acteurs, y compris ceux qui se targuent pompeusement d’être des sages de ce pays, de connaître ses réalités tout en se murant dans un silence très complice dès lors qu’il s’agit de parler de la réalité de l’histoire et des faits. 

La continuité d’un Etat légitime ne signifie nullement maintien d’une injustice d’un Etat illégitime.

Au centre des litiges donc : les terres que les sbires du régime sanguinaire de M… se sont appropriés, après avoir tué ou fait fuir leurs propriétaires. Les rescapés reviennent de la Tanzanie qui les a accueillies une quarantaine d’année durant. Ils trouvent leur terre dans les mains d’autres. De leurs bourreaux pour certains. Certaines situations sont inextricables. Et pour cause : sentant le vent des changements venir, les racketeurs, des Tutsis pour la plupart, ont vendu au fur des années ces biens à des tiers Hutu et Tutsi confondus qui souvent ne savaient rien sur le passé de ces biens.

Cyniques et amusés, ces premiers vendeurs assistent au spectacle des empoignades parfois meurtrières entre les occupants d’aujourd’hui et leurs propriétaires d’avant les années 70. Plus grave, les politiques, directement ou sous couverts de certaines associations, certaines figures qui se veulent désespérément emblématiques s’y mêlent pour ajouter la confusion à la confusion. Mais à y voir de plus près, derrière ces empoignades se jouent une autre guerre : celle des nostalgiques des pouvoirs passés qui, profitant de gros ratés au niveau de la gestion et de la vision du pouvoir actuel, tentent de faire dérailler le processus et le régime aux commandes.

Faudrait-il, au nom du sacro-saint principe de la continuité de l’Etat, cautionner les massacres et les spoliations faites par des pouvoirs sanguinaires, illégaux et illégitimes ? "Oui", clament en chœur certains Tutsis très fier d’avoir réussi un véritable coup de poker : celui de faire un extraordinaire tour de passe consistant à vendre des biens d’autrui à des acheteurs de bonne foi, conscients d’avoir laissé dans les mains d’honnêtes citoyens des patates trop chaudes pour avaler, et trop rares pour les jeter ? La continuité de l’Etat ne signifie nullement le cautionnement de crimes et des spoliations. Au contraire, elle implique la correction des ratés historiques. Certains des propriétaires croient  qu’ils ont les propriétés légalement, soit par achat, soit par dons faits par un Etat qui a confisqué illégalement les biens des citoyens.

Il est affligeant d’entendre d’éminents juristes de renom, ou qui se prennent pour tels, de même que de soi-disant Bashingantahe vouer aux gémonies Mgr Sérapion sans ménagement, comme si il était un criminel. Sa tâche est difficile et délicate, vue la rareté des terres au Burundi et le cynisme utilisé par certains pour brouiller les cartes. Mais, il ne mérite certainement pas les propos et les ragots qui fusent de partout contre lui. L’on en arrive à appeler aujourd’hui l’Eglise catholique à l’excommunier. Cette dernière ne va certainement pas céder à des sollicitations aussi pernicieuses. Et si par malheur elle le faisait, elle aurait confirmé dans les faits les accusations de ses détracteurs selon lesquelles cette Eglise aurait péché si pas par action, mais au moins par un silence que certains n’hésitent pas à qualifier de complice dans les drames de ce pays.

Nul de ceux qui étaient adultes à l’époque n’ignorait les relations de certains hommes d’Eglise avec les génocidaires de l’époque. Les jeunes d’aujourd’hui ont le devoir de savoir ce qui s’est passé à l’école pentecôtiste de Kiremba à Bururi, à l’école secondaire de l’Eglise Anglicane de Matana, les relations que certains prélats de l’Eglise Catholique avaient tissé avec le pouvoir. En fait, à la veille de la mise en place de la Commission Vérité et réconciliation (CVR), et d’autres rendez-vous historiques, la CNTB ne serait tout simplement qu’un objet de confrontation ethnique que l’on se garde d’appeler par son nom, au nom d’une unité nationale maladroitement introduite par Pierre Buyoya et proclamé à Arusha sans que les protagonistes y croient vraiment.

Un enjeu électoral gênant derrière tout ça

Un autre enjeu des non moins importants : c’est le rendez-vous électoral de 2015. L’Uprona a besoin des voix des Hutus. Certains de ces derniers ont été malmenés par le pouvoir CNDD-FDD, notamment les militants du FNL et ceux qui leur sont idéologiquement proches. Il compte donc s’attirer des sympathies des Hutu, notamment ceux qui sont expropriés de leurs terres par la CNTB que l’on assimile au pouvoir actuel. Et ils sont nombreux, car nombreux aussi à avoir acheté par ignorance les terres que des Tutsis avaient spoliés en 1972.

Mais ce qui reste du  parti de Rwagasore joue sur une corde raide : les problèmes épineux de l’heure, dont ceux des terres sont à son actif. Parti unique en 1972, contrôlant de ce fait tous les rouages de l’Etat, Il a une très grande part de responsabilité dans les tragédies de ce pays et a encore des comptes à rendre aux citoyens. Il est très mal placé pour donner une leçon à quiconque. Surtout pas à Monseigneur Serapion, dont le travail de Titan ne peut se faire sans provoquer des grincements de dents. Les dirigeants de l’Uprona actuel ne peuvent se cacher indéfiniment derrière le fait qu’ils n’étaient pas aux commandes à l’époque de la tragédie de 1972. Ils assument et assumeront les travers et les crimes commis par ce parti, aussi longtemps qu’un acte de repentance n’aura pas été posé.

Le CNDD-FDD n’est pas du reste : conscient d’avoir malmené des Hutus pour qui il est censé s’être battu, il trouve une occasion de se racheter. La restitution des terres devient donc un objet de mobilisation. Le seul handicap de ce parti est que l’opération heurte aussi des intérêts d’autres Hutus que son rival voudrait donc récupérer.

Encore une fois, les Burundais, Hutu et Tutsi confondus, risquent d’être les dindons de la farce, de se prêter à des jeux d’intérêt partisans, au lieu d’analyser objectivement la situation passée et présente, pour mieux envisager l’avenir. C’est pourquoi la CVR est si tant attendue, pourvu que les Burundais se préparent à y dire "la Vérité, toute la Vérité et rien que la Vérité". Pour que le pays sorte enfin de cette léthargie née d’une artificielle division et qui l’empêche de décoller depuis l’indépendance.