Incendie à Bujumbura : "Une tragédie aux conséquences ahurissantes"
Opinion

@rib News, 28/01/2013

Incendie du marché de Bujumbura comme

le « World Trade Center » à New York

 Par Daniel Kabuto

D’emblée, il importe de ne pas tirer des conclusions hâtives sur l’implication des islamistes de Somalie dans cette tragédie nationale. Mais l’impact de l’incendie survenu ce dimanche 27 janvier 2013 au marché central de Bujumbura est à comparer, pour le Burundi et la sous-région, aux mêmes choc et pertes vécus par les Américains, l’Occident voire même le monde entier. Hélas, déjà la compassion et la sérénité foutent le camp et la mobilisation en faveur des aides pour les familles et l’économie est reléguée à l’arrière plan par les détracteurs du régime à travers des écrits et des déclarations cyniques ou machiavéliques. Rien d’étonnant qu’on parle de par le monde de l’incendie d’une discothèque du Brésil et presque nullement de la tragédie burundaise. Maudite Afrique ! Pauvre Burundi !

Une tragédie aux conséquences ahurissantes

Le marché central de Bujumbura était le poumon de l’économie burundaise. C’était le véritable grenier de la sous-région. On pouvait s’y approvisionner en tout : produits vivriers, produits manufacturés, boissons, habillements, matériels de construction et équipements divers. Les commerçants et les acheteurs burundais, congolais, européens, indiens, maliens, rwandais, sénégalais y faisaient de bonnes affaires et cela procurait de l’emploi et des revenus à des milliers de familles. Bien des jeunes déshérités de la République et des mères de familles se débrouillaient dans de petits boulots ou commerces dans les allées et à l’entrée du marché. Avec cet incendie, le ciel semble leur tomber dessus ! La panique et le désespoir sont gigantesques. On pouvait s’en rendre compte le dimanche et même ce lundi en observant les visages défaits et les yeux hors orbite des badauds autour du périmètre de sécurité érigé par les forces de l’ordre autour du marché de Bujumbura. Point n’est besoin de souligner que bien des mères aux abois ont tenté de se jeter dans les flammes pour partir en fumée avec leurs marchandises englouties dans l’incendie. Des scènes de désespoir qui rappellent les suicides des clients et employés du « World Trade Center » à New York. Dieu merci, on ne déplore que quatre morts dans cet incendie et des centaines de personnes hospitalisées ou en réanimation pour des crises cardiaques ou d’accidents de roulage dus à la conduite à tombeau ouvert.

Pour l’économie nationale, il convient d’en convenir avec l’expert Donatien BIHUTE qui affirme que le marché central de Bujumbura brassait chaque jour plus de cinq millions de dollars ! C’était la première entreprise de la République ! C’est donc une perte énorme en termes d’infrastructures et de recettes pour l’Etat et pour la nation. Dans ce contexte de conjoncture mondiale, la mobilisation des Burundais et de la communauté internationale s’impose pour éviter que les familles et le pays se sombrent dans un gouffre aussi important que les économies parties en fumée. La quasi-totalité des commerçants et des clients du marché central de Bujumbura tire déjà le diable par la queue. Au comble du désespoir, les mères aux abois envahissent les trottoirs du centre ville pour étaler fruits, légumes et produits frais. L’anarchie s’installe et le banditisme ne va pas tarder à s’aggraver rendant la capitale invivable.

Disons que la pollution issue des produits toxiques est déjà un problème de santé publique. La colonne de fumée noire s’est dispersée dans la ville et dans le lac. Les citadins respirent l’air pollué et consomment l’eau impropre à la santé. Une action internationale est à mettre en place pour venir au Burundi mesurer l’impact de l’incendie sur l’air ambiant de la capitale et le cas échéant, distribuer des masques aux populations pendant un certain temps. L’extraction de l’eau du lac devrait être suspendue, juste le temps que les services compétents et la REGIDESO mesurent la  toxicité de l’eau. Pour une ville de plus de cinq cent mille âmes, on comprend très bien que l’aide internationale est indispensable pour offrir une alternative à cet approvisionnement en eau plus saine. A défaut, les conséquences à moyen et long termes seront dramatiques avec la prolifération des maladies respiratoires, le cancer et l’augmentation du taux de mortalité débouchant sur la diminution de l’espérance de vie.

Une tragédie qui donne bien des leçons urbi et orbi

La première leçon qu’il faut tirer : Dieu aime le Burundi, vraiment ! A voire l’ampleur des flammes et leur force qui narguait l’eau des pompiers, c’est un miracle que les bâtiments des alentours et surtout la station d’essence n’aient été emportés !

Il n’était qu’un secret de polichinelle qu’en cas d’incendie, le marché pouvait s’embraser rapidement et devant l’impuissance des commerçants et des pompiers : aucun respect des normes de sécurité, aucune prévision des issues de secours. Les marchands et les débrouillards étalaient leurs denrées partout comme dans une caverne d’Ali Baba. « Comme on fait son lit, on se couche », dit l’adage !

La prévision en matière de lutte contre les incendies et les catastrophes doit devenir une priorité. L’intervention des sapeurs pompiers a été spontanée mais s’est heurtée au manque d’équipements adéquats et en bon état. Cela met à nu le manque d’entretien et de suivi des équipements vitaux au Burundi et dans bien des pays africains. N’est-il pas grand temps d’arrêter les navigations à vue ?

La nation entière a salué le geste salutaire de nos voisins rwandais avec un hélicoptère qui a rendu d’énormes services dans la lutte contre l’incendie. Mais il est permis de se poser la question de savoir où étaient partis les hélicoptères qu’on a vus lors de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance tcha tcha ! Est-ce le récipient accroché à l’hélicoptère rwandais qui fait défaut ? Pourquoi n’en avoir pas acheté bien avant ? Quelle stratégie adopte-t-on désormais pour doter le pays de tels équipements ?

Bien que le cas du marché central de Bujumbura soit exceptionnel, le Gouvernement est pris à son propre piège devant les promesses non tenues envers les sinistrés des incendies survenus dans les marchés de Ngozi, Gitega, Kamenge, Makamba et ailleurs. Il a beau parler de mise en place d’un fonds de secours et de solidarité en faveur des commerçants du marché central de Bujumbura, ces derniers restent sceptiques et redoublent de colère. Les mensonges portent des fleurs et jamais des fruits ! Il est grand temps que les autorités prennent le taureau par les cornes et suscitent des espoirs solides.

L’incendie a servi d’occasion en or à certains policiers et aux pickpockets pour piller les marchandises des commerçants en rudes épreuves. Dans le malheur, on compatit et on donne un coup de main. Hélas, cette essence de la culture burundaise a fondu comme neige devant le soleil. Reste à se demander si le Burundi n’est pas devenu une jungle d’animaux apparemment sociables mais impitoyables envers le faible ou le moins rusé !

Devant l’ampleur du désespoir et des dégâts, le Président de la République est rentré dare-dare de sa mission en Ethiopie. Il s’est rendu sur les lieux et a appelé à la solidarité nationale. Il a convoqué une réunion du conseil national de sécurité des mesures ont été prises. C’est dans la tempête que le pilote démontre son talent. Et Pierre NKURUNZIZA a bien joué son rôle de père de famille. Reste à souhaiter que ce genre d’intervention et d’implication ne soit pas exceptionnel mais plutôt à espérer dans tous les cas de tragédie nationale !

Malgré le désespoir et l’incompréhension, la population est restée calme et sereine. Il n’y a pas eu de mouvements de panique et de sauve-qui-peut dans le centre ville. Ce grand sens des responsabilités du peuple burundais est à saluer par le gouvernement d’une part en lançant des actions concrètes et d’envergure d’assistance aux familles ruinées et en faveur de la stabilisation sinon de la reconstruction du marché central ; et d’autre part par la communauté internationale et les partenaires en mobilisant les fonds pour accélérer la réouverture du marché et fournir des dons ou crédits à faible taux d’intérêt aux commerçants.  

La vigilance doit rester de mise. Les pêcheurs en eaux troubles fabriquent des histoires bien rodées pour manipuler l’opinion et accréditer l’hypothèse d’un incendie perpétré par le pouvoir. C’est révoltant. Les commerçants et les débrouillards du marché central avaient déjà connu une secte venue se donner en spectacle sur le marché en invitant à se convertir pour éviter un châtiment divin sur le marché. Or, nous reconnaissons très bien que Dieu a fait un miracle et a évité à la ville de s’embraser. En sollicitant l’aide de la communauté internationale, sollicitons également son expertise pour élucider l’origine de l’incendie et souhaitons que les commissions misent en place ne soient plus ces montagnes qui accouchent des souris !

Au demeurant, devant ce genre de catastrophe, il faut éviter de souffler sur la braise. Au comble du désespoir, les familles faibles ou naïves peuvent être tentées par le suicide collectif et se fabriquer des boucs émissaires. Agissons pour qu’enfin cette tragédie burundaise suscite plus de compréhension et d’actions de la part des philanthropes du monde entier. Il est grand temps que la communauté internationale cesse de se rendre coupable au Burundi du crime de non-assistance à personnes en danger ! L’histoire burundaise regorge des cas sur lesquels on s’attardera sans doute dans la CVR.

Bujumbura, 28 janvier 2013

Daniel KABUTO, Ecrivain et consultant indépendant.