Un aperçu historique sur le régime de Nkurunziza
Opinion

@rib News, 11/03/2013

PIERRE NKURUNZIZA  EN FRANCE : QUE VIENT CHERCHER  CE DICTATEUR ?

Par Rémy Henuka

Comment Nkurunziza gère-t-il le pouvoir, est-il ouvert à la démocratie et à l’alternance, est-il au service du peuple  burundais, et que devrait faire la France pour le Burundi ? Un aperçu historique sur le régime de Nkurunziza nous aidera à répondre.

Pierre Nkurunziza accède au pouvoir en 2005, après un scrutin cahoteux et controversé par l’opposition. Sur  fond des rivalités internes, les nouveaux dirigeants du pays vont  utiliser tous les moyens pour éliminer leurs adversaires politiques et faire taire la société civile : de faux coups d’Etat furent montés suivis d’arrestation, d’emprisonnement et de torture de responsables politiques. 22 députés frondeurs furent illégalement exclus du Parlement et remplacés par des suppléants dociles. Des attaques à la grenade eurent lieu contre des domiciles des leaders de l’opposition à maintes reprises.

L’insécurité, les assassinats ciblés ou même des massacres comme celui de Muyinga (plus de 30 personnes) et de Gatumba (environ 40 personnes) furent la signature macabre du nouveau pouvoir. La société civile, les media, les avocats ne furent pas épargnés ; tous furent harcelés par des convocations intempestives par le parquet, par des arrestations, des emprisonnements ainsi que des assassinats dont le plus connu est celui de l’ancien vice-président de l’Observatoire de Lutte contre Corruption et les Malversations Economiques –OLUCOME, M.  Ernest MANIRUMVA. Même les étrangers ne sont pas épargnés, à ce jour par exemple, les circonstances et les raisons de l’assassinat de la française Agnès Dury activiste de l’ACF le 31 décembre 2007 et gravement blessé une autre expatriée ne sont toujours pas élucidées.

 Parallèlement la corruption atteignit un niveau jamais égalé dans l’histoire du pays. Le Burundi fut classé au 8ème rang mondial des pays les plus corrompus de la planète. La paupérisation de la population déjà très importante pendant la guerre ne  faisait que s’accentuer. Entre temps la guerre entre le FNL et le nouveau pouvoir se poursuivait. Sous la pression intérieure et extérieure, les deux protagonistes aboutirent à un accord en 2006 qui n’entrera en application qu’en 2009.

Dès son arrivée au pouvoir, NKURUNZIZA déclare qu’il est arrivé au pouvoir non pas grâce à la volonté populaire  mais par la volonté de Dieu. Il organise régulièrement des caravanes d’évangélisation d’une semaine  où le gotha de son pouvoir est convié. Pendant cette période toutes les affaires de l’Etat sont bien sûr mises entre parenthèses. NKURUNZIZA fait partie  des présidents « born again », adeptes des églises évangélistes protestantes et avec son épouse, Denise Nkurunziza qui est consacrée Pasteur,  ils collectent des sommes colossales qui, en plus du vol des fonds de l’Etat, leur permettent de vivre dans l’extravagance  en ignorant le reste de la population. Mais ses liens avec le Vatican sont  bons notamment grâce à ses positions tranchées sur les questions d’avortement et d’homosexualité. L’Eglise catholique dont des membres étaient massivement présents dans la Commission Electorale Nationale Indépendante n’a fait que le confirmer. En effet les Evêques du Burundi considèrent que les élections se sont bien déroulées. Il faut souligner que la hiérarchie catholique au Burundi a été toujours en connivence avec le pouvoir : en 1960, elle s’opposait à l’indépendance et en 1990 elle était contre l’avènement de la démocratie.

Avec l’approche des élections de 2010, le pouvoir accentuait la répression contre toute voix discordante. Des arrestations arbitraires et détentions illégales, de la torture, des assassinats ciblés et collectifs s’intensifièrent. Les militants du mouvement de jeunesse intégré du CNDD-FDD organisés en milice  appelée « IMBONERAKURE » ont été particulièrement actifs dans les cas de vols en main armée, l’intimidation, le pillage. C’est dans ce climat de répression tous azimuts que les élections de 2010 se déroulèrent. Ces élections furent entachées de fraudes massives et de très nombreuses et graves irrégularités. En effet, le cycle électoral comprenait cinq consultations électorales : les communales, les présidentielles, les sénatoriales, élections des députés et les locales.

En date du 24 mai 2010, les élections  communales furent organisées par une soi-disant Commission Electorale  Nationale Indépendante (CENI). Le parti au pouvoir et la CENI ont planifié un hold up électoral qui a abouti à la négation de la volonté populaire. Des quantités d’urnes furent inter changées, d’autres volatilisées, des chiffres manipulés à volonté  sans que les observateurs nationaux et internationaux puissent peser sur la CENI et le parti au pouvoir. Les pourcentages attribués au parti au pouvoir  passèrent tantôt à 93%, puis 91% et enfin à  63%. Le reste étant attribué à volonté aux partis satellites du parti au pouvoir. Les procès-verbaux n’ont pas été remis aux mandataires des partis politiques de l’opposition conformément à la loi. Les résultats proclamés étaient préparés d’avance, les urnes et leur contenu n’ont servi à rien. Ce fut le début  d’une nouvelle crise. Au vu de cette fraude massive éhontée, douze  principaux partis de l’opposition en campagne  se retirèrent du reste  de la compétition et créèrent  l’ADC (Alliance  des Démocrates  pour le Changement). NKURUNZIZA se présenta seul pour briguer les suffrages du peuple. A la suite d’une importante pression des puissances extérieures, l’ancien parti unique UPRONA rejoindra le CNDD-FDD pour participer aux élections législatives et  donner ainsi un semblant de légitimité. Devant la contestation de l’opposition, la répression fut impitoyable ; le nouveau pouvoir CNDD-FDD-UPRONA instaura un véritable système à parti unique. Aucun parti de l’opposition ne fut plus autorisé à tenir un meeting ou une  simple réunion publique. De nombreux militants de l’opposition furent arrêtés par les forces de sécurité, et leurs corps sans vie furent retrouvés peu après flottant dans les cours d’eau, ou tout simplement jetés dans la brousse ou dans des latrines. Des opposants furent contraints à l’exil. Ce fut le cas de Léonard NYANGOMA président du CNDD, d’Alexis SINDUHIJE président du MSD, d’Agathon RWASA  président du FNL, de Mme  KAMPAYANO, candidate du parti UPD à l’élection présidentielle, etc. Pour donner un habillage légal à la répression, une nouvelle loi sur les partis politiques fut votée par la nouvelle assemblée nationale. Elle fait entre autre obligation à tous les partis de reprendre le processus d’agréation ! Une façon indirecte de supprimer les partis d’opposition.

Nkurunziza a mis sur pied un système complexe pour asseoir son pouvoir : Pour être embauché dans l’administration publique ou parapublique, il faut exhiber la carte du parti au pouvoir ; l’administration territoriale est 100% CNDD-FDD, tous les administrateurs ou gouverneurs de province sont issus du parti au pouvoir. L’appareil  judiciaire est vassalisé et extrêmement corrompu. Le  Service National des Renseignements SNR, ou police présidentielle, fonctionne comme une milice du parti et utilise des moyens colossaux puisés dans les caisses de l’Etat (autour de cinq milliards en 2010). Le parti dispose aussi des organisations de masse comme la ligue des jeunes et la ligue des femmes. La première a une milice armée dénommée Imbonerakure d’au moins 30 000 hommes issus pour la plupart des rebelles démobilisés qui terrorisent la population et assassinent les membres de l’opposition. Au sommet du parti, on trouve un groupe informel dénommé  Conseil des sages, parallèle à la direction statutaire du parti et présidé par Nkurunziza. Au sein de ce groupe, le cercle des généraux reste le plus influent. Le parti collabore avec des organisations et associations affiliées : L’association UBUNTU animée et dirigée par l’épouse du président, Denise Nkurunziza. Une partie des  aides de l’extérieur normalement destinées à l’Etat atterrissent dans cette ONG ; l’association SALAMA de Mohamed Rukara actuel médiateur de la République,  draine des aides des pays musulmans.

Les principales ressources du parti au pouvoir proviennent des détournements des fonds de l’Etat, des entreprises paraétatiques (SOCABU, ONATEL, SOSUMO), de la corruption, des aides destinées à la population mais détournées pour le parti. Les autres ressources  sont constituées des cotisations des cadres promus  par le parti : tous ceux qui sont nommés par décret doivent cotiser mensuellement au moins 10000FBU, les ministres et les parlementaires 10%, une partie des recettes communales va au parti et dans les poches des dirigeants locaux du parti.

La mauvaise gouvernance qui caractérise  le pouvoir de Nkurunziza fait que les indicateurs du pays sont au rouge.  Plus de 70% de la population vivent en-dessous du seuil de la pauvreté ; le Burundi est classé dans les cinq pays les plus pauvres du monde. Plus de 57% de la population sont analphabètes selon le rapport récent de l’UNESCO, les salaires réels ont chuté de plus 500%, la corruption gangrène le pays, qui est classé parmi les 5 pays les plus corrompus du monde. Plus de 80 cas de corruption grave, concernant souvent des milliards de  francs ont été recensés. Les burundais vivent un véritable calvaire : les fonctionnaires et autres agents de l’Etat perçoivent avec de plus en plus de retard leurs salaires de misère. Le Burundi a le SMIG le plus bas du monde : 6 dollars ou environ 7200Fbi par mois. L’inflation a rendu la vie intenable. 70% de la population burundaise ne peut plus se nourrir correctement. La plupart des familles se contentent d’un seul repas par jour. Le chômage sévit dans tout le pays, les entreprises ne font que fermer, les sociétés parapubliques sont sabotées, mises en faillite pour être privatisées sauvagement, rachetées ou remplacées par les oligarques du pouvoir. Il faut corrompre ou exhiber la carte du parti au pouvoir pour avoir un emploi. Le franc Bu est à son plus bas niveau et s’échange à 2000 l’euro.

Au moment où Nkurunziza arrive en France, le Bureau des Nations Unies au Burundi organise, du 11 au 13 mars, un atelier sur les enseignements des élections de 2010 en vue de dégager les éléments d’une feuille de route pour la préparation effective des élections de 2015. Une gageure. Certains observateurs soupçonnent le gouvernement de Nkurunziza, dont l’économie et les finances sont à terre, de feindre la bonne volonté et le dialogue  pour que soient débloquées les aides promises mais encore suspendues.  Si Nkurunziza veut être fréquentable et soutenu par la France, patrie  des droits de l’homme, il devrait poser des actes convaincants, notamment  la libération des prisonniers politiques, l’arrêt de la persécution des opposants, la suspension de leurs fonctions de toutes les personnalités impliquées dans les exécutions extrajudiciaires et les crimes économiques, le retour de tous les leaders politiques en exil dans des conditions de dignité et de sécurité, la négociation sérieuse avec l’opposition au sujet de tous les fondamentaux de la démocratie,  afin d’instaurer un climat propice à la paix et au développement. Faute de quoi, on est en droit de parler d’un cautère sur une jambe de bois. Le gouvernement français  devrait entendre les gémissements du peuple burundais, et parler le langage de la vérité avec cet ancien rebelle devenu un dictateur dont la brutalité, l’indifférence à la misère du peuple et le populisme  mystico-religieux, offensent les valeurs d’humanisme, de progrès et de laïcité.