Burundi : La volonté de faire taire les journalistes était trop forte
Opinion

@rib News, 27/04/2013

Une loi pour étrangler la démocratie.

Par Frantz Buntu

La chambre haute du parlement du Burundi vient d’adopter le projet de loi sur les médias. Après le vote favorable de l’Assemblée Nationale, il aurait fallu un miracle pour que ce ne fût pas de même au Sénat. Depuis les élections controversées de 2010, le Parlement burundais étant devenu plus une chambre d’homologation des volontés du CNDD-FDD, qu’une institution au service du peuple burundais. Face à un pouvoir de plus en plus autiste, les protestations des organisations des journalistes locales ou internationales, des ONG de défense des droits de l’Homme, des partis politiques, etc. auront été vaines. La volonté de faire taire les journalistes était trop forte de la part d’un pouvoir de plus en plus acculé par une situation socio-économique désastreuse. Mais le coup asséné fera très, très mal, à l’ensemble de la Nation burundaise. Que reste-t-il de la liberté de la presse dans notre pays ?

Le projet de loi sur la presse qui vient d’être adopté par le parlement burundais est un des plus réactionnaires, les plus rétrogrades depuis la vague de démocratisation en Afrique ayant débuté au début des années 90.Au-delà de l’exigence d’une licence en journalisme ou d’un diplôme équivalent, le plus choquant concerne  les nombreux domaines désormais exclus de tout travail de diffusion ou d’investigation journalistique. D’après l’article 20 du fameux  projet de  loi, il s’agit de tout ce qui est en rapport avec :

- le secret de la défense nationale, de la sûreté de l’Etat et de la sécurité publique ;

- des informations portant atteinte à la stabilité de la monnaie ;

- le secret de la vie privée, y compris les dossiers personnels et médicaux ;

- le secret de l’enquête judiciaire au stade pré juridictionnel ;

- des outrages et injures à l’endroit du chef de l’Etat ;

- des communiqués, appels ou annonces incitant à la révolte, à la désobéissance civile, à une manifestation publique illégale, à l’apologie du crime, à la réalisation d’un chantage ou d’une escroquerie, à la haine raciale ou ethnique ;

- des écrits ou propos diffamatoires, injurieux, calomnieux, offensants à l’égard des personnes publiques ou privées ;

- des informations faisant la propagande de l’ennemi en temps de paix comme en cas de guerre ;

- des informations portant atteinte au crédit de l’Etat et à l’économie nationale ;

- des documents ou enregistrements de nature confidentielle ou secrète concernant les opérations militaires, la défense nationale, l’activité diplomatique, la recherche scientifique et les comptes-rendus des commissions d’enquête d’Etat ;

- des comptes-rendus des débats judiciaires à huis clos ou concernant les mineurs, sans autorisation préalable ;

- l’identité des victimes des viols ;

- la protection des mineurs contre les images obscènes et/ou choquantes.

Autant dire que le travail du journaliste burundais consistera désormais à publier les communiqués officiels du pouvoir en place. Et cela ne demande pas à mon avis un diplôme de niveau universitaire ! Toute personne  sachant lire et écrire pourrait allègrement s’acquitter de cette « lourde » tâche. Quels sont les objectifs de ce projet de loi ?

De nombreux observateurs ont dit ou écrit que ce sont les journalistes qui sont visés. Certes ils sont directement concernés et demain ce sont eux qui vont se retrouver au chômage après la fermeture de leurs organes de presse, qui seront certainement frappés par des amendes exorbitantes prévues dans le décret. Mais c’est la démocratie burundaise qui est la véritable victime de cette loi.

Victor Hugo ne disait-il pas que : « la souveraineté du peuple se manifeste sous deux formes : la liberté de la presse et le suffrage universel » ? Il paraphrasait du reste Mr Rouher député de gauche au parlement français qui déclarait déjà en 1850 : « La souveraineté du peuple, c'est la nation à l'état abstrait, c'est l'âme du pays. Elle se manifeste sous deux formes ; d'une main, elle écrit, c'est la liberté de la presse ; de l'autre, elle vote, c'est le suffrage universel. Ces trois choses, ces trois faits, ces trois principes, liés d'une solidarité essentielle, faisant chacun leur fonction, la souveraineté du peuple vivifiant, le suffrage universel  gouvernant, la presse éclairant, se confondent dans une étroite et indissoluble unité, et cette unité, c'est la république. »

Loin de moi de penser que les médias sont parfaits, les journalistes peuvent  commettre des erreurs, parfois graves. Il faut donc un encadrement mais pas un étranglement. Le Président Lula da Silva considère « la censure comme une des armes principales de la répression. »  Il ajoute : « Une presse libre, en raison de son rôle de surveillance des actions du gouvernement, est indispensable à la défense des intérêts publics et au renforcement et à la consolidation de la démocratie. »

Le projet de loi en question qui n’est autre qu’une loi sur la censure, est une autoprotection des dirigeants actuels : ni les corrompus, ni les assassins, ni les détourneurs des biens publics ne pourront plus être dénoncés. Des complots pourront être montés et des innocents embastillés sans aucun risque d’être portés à la connaissance du monde !

Et demain, les élections de 2015 pourraient être tripatouillées à volonté, et le peuple se contentera de la version officielle des faits. Sous d’autres cieux c’est l’ensemble des démocrates et patriotes qui se seraient levés comme un seul homme pour défendre leur droit à être informés. Mais au Burundi, nous avons pratiquement laissé les journalistes seuls face à un pouvoir obsédé par la conservation du pouvoir par tous les moyens. La question est pourtant capitale pour l’avenir de la démocratie chèrement arrachée par l’ensemble du peuple burundais. Seule une grande mobilisation populaire pourrait pousser le Président de Nkurunziza à renvoyer la copie aux Parlementaires avant d’y apposer sa signature.

La dichotomie entre société civile et partis politiques ne devrait plus être de mise sur des questions aussi capitales pour l’ensemble de la Nation. Les politiques y compris les patriotes militant au sein du CNDD-FDD, les syndicats, les militants des ONG, les journalistes,  les chômeurs, etc. doivent  tous se mobiliser pacifiquement contre une loi qui ne vise qu’à étrangler notre démocratie.