La FVV condamne chaque année un millier de Burundaises à l’isolement |
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@rib News, 29/06/2013 La fistule vésico-vaginale menace la vie de milliers de femmes rurales au Burundi Par Jérôme Bigirimana Appelée "Ingwara yo mu Kigo" en langue maternelle, le Kirundi, la fistule vésico-vaginale (FVV) condamne plus d'un millier de femmes chaque année à vivre isolées dans l’arrière-cour au Burundi. Malgré l’appui de quelques ONGs internationales et la gratuité des soins offerts par le gouvernement burundais, les défis pour améliorer la situation de ces femmes sont encore énormes. Alors qu’elle est presque inconnue dans les pays développés, la FVV est classée parmi les problèmes de santé publique dans les pays en voie de développement. Dans ces pays, 1000 nouveaux cas sont enregistrés chaque année. En effet, le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) estime à deux millions le nombre total de femmes atteintes de fistule dans le monde. Selon le Dr Déogratias Ntukamazina [Photo en haut en compagnie de quelques patientes], coordinateur du centre de référence de la fistule au CHU de Kamenge à Bujumbura au Burundi, la FVV est principalement due aux complications d'une naissance longue et difficile. Les plus touchées sont essentiellement les femmes rurales, pauvres et qui vivent loin des établissements sanitaires. Lorsque le travail de l'accouchement commence, elles préfèrent rester à la maison à cause du manque de frais et moyens de transport pour atteindre une unité de soins. Par ailleurs, les centres de santé les plus proches ne peuvent rien faire lorsque le cas nécessite une césarienne. Ainsi, ces pauvres femmes endurent entre 3 à 4 jours de travail d’accouchement. Dr Ntukamazina explique que, « La suite devient fatale pour la mère et pour l’enfant au cours de ce long travail d’accouchement difficile car environ 98% de ces femmes expulsent un enfant un mort-né à cause de la souffrance fœtale extrême. La vessie et/ou le rectum sont tellement comprimés par la tête du fœtus, de telle manière qu’après l’accouchement, la zone vésicale et/ou rectale comprimée se nécrose et laisse un trou ou un passage anormal entre ces organes et le vagin ; ce qui laisse donc passer en permanence et de manière incontrôlée les urines et/ou les selles par les organes génitaux de la femme. Ces femmes vont avoir un écoulement permanent des urines partout où elles seront et elles sont caractérisées par une odeur d’urines ; ce qui les poussent à s’isoler de la société » Comme le malheur ne vient jamais seul, la femme ayant fait cette complication en accouchant est souvent abandonnée par son mari car elle sent mauvais, présente un écoulement permanent et incontrôlé d’urines par voie vaginale, et dans la majorité des cas, elle devient incapable à faire des relations sexuelles. L'aide internationale des ONG Jusqu’en 2006, rien n’était fait pour ces femmes. C’est en 2006 qu’un contrat fut signé entre l’ONG Gynécologues Sans Frontières et le Gouvernement du Burundi, qu’un projet de traitement de la fistule fut mis en place au Burundi. Un grand soulagement pour ces milliers de femmes rurales oubliées par la société alors que le malheur leur est arrivé entrain de donner la vie [à un membre de cette société.] Les actions clés de ce projet étaient d'aider à reconnaître la fistule comme un problème de santé publique au Burundi, d'impliquer les plus hautes autorités du pays à l'appui de traitement de la fistule, et enfin, de sensibiliser les gouvernements et les ONG internationales pour créer d'autres centres de fistule et de former des médecins locaux qui prendront la relève lorsque l’ONG quittera le pays. L’ONG Gynécologues Sans Frontières estime que sa mission est réussie puisqu’un autre centre à fistule, le centre Urumuri piloté par l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF) a été créé à Gitega, au centre du Burundi depuis 2010. Mais, à part le gynécologue Ntukamazina, un seul médecin généraliste a accepté d’être formé à Gitega. Les autres ne sont pas emballés par cette offre. Motif : D'une part, la réparation de la fistule ne paie pas. Elle est à charge des ONGs ou du gouvernement. D'autre part, "les médecins n'ont pas le temps, ils préfèrent travailler dans le secteur privé qui paie plus. Par ailleurs, il y a peu de spécialistes qui peuvent accepter de cesser leur activité à Bujumbura pour aller dans une formation de 6 mois au centre Urumuri de Gitega", reconnaît le Dr Ntukamazina. Prise en charge des patientes Rose Nahimana, 42 ans, vient de passer deux semaines au centre Urumuri à Gitega, à 100 km de Bujumbura. Visage illuminé par de fréquents sourires, elle se confie: "C'est la fin de mon calvaire. C’était trop dur pour moi. Je viens de passer environ 20 ans dans l’arrière-cour, pourrie, abandonnée par mon mari et ma famille proche, sauf ma mère. Je ne pouvais pas accéder à l'espace public à cause de mon odeur.» Selon le Dr Ntukamazina, 90% des maris abandonnent leurs femmes à cause de la fistule. C’est pourquoi MSF fournit actuellement des séances d'information et des campagnes de sensibilisation dans les villages, en synergie avec Handicap International, en charge de l'identification, des cas de référencement et de transport de certains patients. Lorsque les femmes arrivent au centre Urumuri, MSF leur fournit un support complet : soins, transport, vêtements, repas, animations, conseils. MSF estime entre 20 et 30 femmes à être reçus par jour. Mais, le centre ne dispose que de 50 lits. D’où des tentes sont érigées en raison d’une grande affluence, conséquente à la sensibilisation et à l’appui logistique gratuit. Par conséquent, le centre de Bujumbura mis en place Gynécologie Sans Frontières (GSF), reçoit peu de femmes fistuleuses en raison du manque de soutien logistique et financier. Dr Ntukamazina estime à 300 dollars américains, le coût de la réparation de la fistule, sans frais de consultation, de restauration pour le malade et sa garde et le transport aller- retour à la maison. Mais, pour ce qui est des frais des soins, le gouvernement les prend en charge. Faible implication de la communauté Les autorités et les organisations locales s'impliquent peu ou presque pas. Excepté les initiatives des ONG internationales et de ce petit soutien du gouvernement, aucune autre action locale n’est envisagée. En fait, il y a une faible sensibilisation du public et une faible médiatisation de la question pendant que la discrimination de la communauté reste grande. Aucune campagne organisée pour mettre fin à la stigmatisation alors qu'il y a de nombreuses organisations locales de femmes qui pourraient plaider pour ces femmes fistuleuses. Des femmes séjournant au centre à fistule de Bujumbura critiquent l'inertie de la société civile, en particulier les organisations de femmes. Pour Mathilde Bunyoni, 32 ans, « j’entends qu’il y a des organisations qui militent pour les droits des femmes mais elles ne nous apportent rien. Par exemple, la journée internationale de la femme célébrée chaque année le 8 mars ne signifie rien pour moi. J’ai perdu ma dignité et suis discriminée par tous ». Même point de vue que son amie Marthe Barahinduka, 40 ans, également en attente pour la réparation de la fistule: «La journée internationale de la femme est juste un slogan pour les femmes à fistule. Je ne suis pas une criminelle, mais voilà je vis en quarantaine pendant 20 ans. Je n'ai rien fait de mal, la fistule était juste un accident. Je voulais donner naissance comme toutes les autres mamans, mais quand le malheur arrive, voilà que nous sommes exclues comme des malfaiteurs. Et où sont ces associations de femmes pour nous aider ? Je ne les ai pas vues? Aident-elles seulement celles qui sentent une bonne odeur de parfum? Merci à Dieu qui nous a envoyé notre docteur [Ndlr : Dr Ntukamazina] et ces humanitaires ». Quid de l’après 2015 C’est connu de tous, le Burundi comme beaucoup de pays moins développés, souffre de l'absence d'un nombre suffisant de gynécologues qualifiés et surtout formés aux opérations spécifiques des fistules. Sur plus de 10 millions d'habitants, le Burundi n’a que 20 gynécologues locaux, eux aussi tous établis seulement à Bujumbura, la capitale. Parmi ceux-ci, seul le Dr Ntukam azina est maintenant en mesure de mener des opérations de fistules. Mais, les cas compliqués sont souvent envoyés au centre d’Urumuri où prestent deux gynécologues expatriés à temps plein payés par MSF. De l’avis de plusieurs experts, la pérennisation des services offerts par les ONG présentes est un sérieux problème quand ces dernières viendront à la fin de leurs activités. Et le gouvernement burundais devrait déjà commencer à pleinement s'impliquer dans les opérations de fistule et mettre en place un véritable plan de traitement de la fistule et ses conséquences sociales et morales. GSF a par exemple déjà commencé à réduire ses missions parce qu'elle n’a plus de moyens financiers. Et MSF, avec un gros budget, est très active sur terrain dans tout le Burundi sauf la région de Bujumbura, va malheureusement quitter ce terrain de la fistule vésico-vaginale au Burundi en 2015. A quel sort seront donc vouées ces milliers de femmes oubliées dans le fin fond du pays ? Le gouvernement burundais pourra-t-il prendre la relève ? Rien n’est évident quand on sait que les plus hautes autorités du pays sont plus préoccupées par le renouvellement ou le triplement de leur mandat en 2015. Elles pourront peut être faire des promesses alléchantes mais seulement à des fins électorales. En tout cas, si rien n'est décidé d'ici là, la situation risque de dégénérer et s’empirer plus qu’avant 2006. [FIN] |