Marguerite Barankitse fait vibrer les colonnes du Colisée
Société

Le Soleil, samedi 21 juin 2008

Yves Therrien

Marguerite Barankitse, en compagnie du cardinal Jean-Claude Turcotte, est rayonnante même lorsqu’elle parle de la guerre dans son pays.

Elle est rayonnante, dit-elle, parce que dans la misère elle a ouvert une voie pour aider des milliers d’enfants.

Le Soleil, Jean-Marie Villeneuve

Le plus vibrant et le plus émouvant des témoignages du congrès eucharistique est arrivé du plus petit pays du monde selon la Banque mondiale, le Burundi, mais de la bouche d’une femme plus grande que nature, pleine de verve et d’une conviction sans limites, Marguerite Barankitse.
Le tonnerre d’applaudissements à la fin de son allocution montrait à quel point elle avait frappé dans le mil. Toutes les personnes rencontrées dans les corridors du Colisée ne tarissaient pas d’éloges.

Marguerite Barankitse s’est même permis de brasser les évêques et cardinaux du 49e Congrès eucharistique international de Québec, leur rappelant que l’eucharistie ne se trouve pas dans leurs lettres pastorales, disant aux membres des communautés religieuses qu’elle n’était pas non plus dans leur couvent, mais dans la rue, sur la place. «Ouvrez vos archevêchés, ouvrez vos couvents, allez sur la place, allez vers les autres, c’est là que se trouve l’eucharistie, c’est là que vous verrez Dieu».

Étonnante et malgré tout pleine d’une joie communicative lorsqu’elle parle des malheurs qu’elle a vécus dans la guerre entre les Hutus et les Tutsis au Burundi, elle sourit à ceux qui l’ont traité de folle, comme dans le titre à son sujet dans Libération, où qui disent qu’elle perd la tête. «Le premier fou, c’est Dieu, et j’ai choisi de le suivre», lance-t-elle d’une voix qui ne laisse pas de place au ridicule.

La veille, lors d’une entrevue en marchant à Expo-Cité, Marguerite Barankitse lance tout sourire: «Je suis grand-mère de jumeaux depuis hier. Une de mes filles a eu des jumeaux, je suis une grand-mère heureuse.» «Vous avez combien d’enfants?», demande innocemment le journaliste. «J’ai plein de filles et de fils, des milliers, 10 000 au moins», poursuit-elle avec la joie exubérante qui la caractérise même si elle aligne rendez-vous et entrevues depuis quelques heures.

«Combien? Comment est-ce possible d’être mère de 10 000 enfants?» Alors, Mme Barankitse raconte comment elle joue depuis 15 ans son rôle de mère auprès des orphelins de la guerre, des enfants soldats, de tous ceux qu’elle a recueillis dans son oeuvre de la Maison Shalom. Elle en prend soin comme une mère naturelle, fait en sorte que leur éducation soit assurée, qu’ils puissent vivre une nouvelle vie de famille entre frères et soeurs sans briser les fratries dans un nouveau milieu plus rassurant, mais en leur disant «Hutus et Tusis, votre nouvelle ethnie c’est la Maison Shalom».

«Et je continue de jouer mon rôle de mère tous les jours, ajoute-t-elle. Aujourd’hui, mes collaborateurs se sont mes enfants qui ont grandis et devenu médecins, travailleurs sociaux et psychologues qui permettent à la Maison Shalom de continuer son oeuvre.»

Et parfois, un de ses enfants devenus gouverneur d’une province, ou un autre diplomate dans une ambassade dans le monde dira: «Nous, enfants de la Maison Shalom» marquant ainsi une appartenance qui va bien au-delà des liens de la famille biologique.

Les dix années de guerre civile au Burundi ont fait des milliers de morts et des milliers d’orphelins dans l’indifférence quasi totale des puissances occidentales, mais ce ne fut pas le cas dans la vie de Marguerite Barankitse. Elle a eu le déclic à cause de sa foi lorsqu’elle a vu, le 24 octobre 1993, des gens qu’elle protégeait être assassinés sous ses yeux. Pour elle, il fallait répondre au mal par l’amour des autres. «La foi et l’amour déplaceront les montagnes. Je rêve du jour où mes enfants seront président de la République, ministre de la Justice pour contrecarrer le pouvoir de la haine.»

Elle a donc accueilli les enfants et fait bâtir des petites maisons pour recréer une vie de famille avec tous ces orphelins et fondé la Maison Shalom. «Ce n’est pas un orphelinat, martèle-t-elle tout en souriant. Je suis contre ces institutions qui ne sont pas des milieux de vie. J’ai acheté des petits lopins de terre et construit des petites maisons pour créer des milieux de vie ou mes enfants peuvent grandir, étudier et être soignés.»

Elle a reçu de nombreux prix internationaux, «mais tout cet argent a servi à construire de nouvelles maisons pour accueillir d’autres orphelins.» Et, c’est en chantant un refrain de John Littleton «Allez-vous en sur les places et sur les parvis être mes témoins» qu’elle a descendu les marches de l’estrade sous un tonnerre d’applaudissements.