3è mandat de Nkurunziza : Vandeginste invite à passer du "débat virtuel" au concret
Opinion

@rib News, 09/07/2014

Débat Bamwumva – Vandeginste : suite et fin

Par Stef Vandeginste

La réponse qu’a publiée Mr Théophile Bamwumva sur les sites www.arib.info (le 9 juillet 2014) et www.tutsi.org (le 8 juillet 2014) m’oblige à réagir une dernière fois. Avant de répondre, et pour éviter toute confusion, je signale que les deux papiers qui font l’objet du débat sont publiés sur le site web de l’Institut de politique et de gestion du développement (IOB) de l’Université d’Anvers: https://www.uantwerpen.be/en/faculties/iob/publications/working-papers/ (voir les Working Papers numéros 2014.04 et 2012.03). Le lecteur est invité à consulter l’intégralité des deux papiers pour apprécier si réellement mon analyse constitue un « danger » comme le prétend Mr. Bamwumva.

1. Mr Bamwumva me reproche de mal interpréter la Constitution et la loi burundaises quand j’écris, dans mon papier «La limitation constitutionnelle du nombre de mandat présidentiels: une coquille vide?» (Working Paper 2014.04) qu’un rejet de candidature aux élections présidentielles par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) peut être contesté devant la Cour constitutionnelle (article 103 du Code électoral du 3 juin 2014), mais qu’en cas d’acceptation de candidature aucun recours n’est prévu. A son avis, une acceptation de candidature par la CENI constitue un acte réglementaire qui pourra, par conséquent, être attaqué devant la Cour constitutionnelle par les personnes physiques ou morales lésées, conformément à l’article 228, 1er tiret, de la Constitution.

Je crains que mon interlocuteur virtuel se trompe. Il confond la régularité de la saisine avec la compétence de la Cour. En effet, avant de se prononcer (éventuellement) sur le fond d’une requête, la Cour constitutionnelle se pose toujours les questions de savoir, d’abord, si elle a été saisie de manière régulière, et, ensuite, si elle est compétente.

L’article 228, 1er tiret, de la Constitution (« La Cour constitutionnelle est compétente pour statuer sur la constitutionnalité des lois et des actes réglementaires pris dans les matières autres que celles relevant du domaine de la loi »), auquel renvoie Mr Bamwumva, concerne la compétence de la Cour. Toutefois, avant de statuer sur sa propre compétence, la Cour se prononce toujours, dans tous ses arrêts, sur la régularité de la saisine. Celle-ci est réglée par l’article 230 de la Constitution, que Mr. Bamwumva omet de citer. L’article 230, alinéa 2 stipule que : « Toute personne physique ou morale intéressé ainsi que le Ministère Public peuvent saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement par voie d’action soit indirectement par la procédure d’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire soumise à une autre juridiction».

Cela veut dire que quand il ne s’agit pas d’une loi, mais d’un acte réglementaire (un décret présidentiel ou une ordonnance ministérielle - ou, selon Mr Bamwumva, une décision prise par la CENI), les personnes physiques ou morales intéressées ne peuvent pas saisir la Cour constitutionnelle de façon régulière. Quand la Cour constate que la saisine a été irrégulière, elle n’aborde même pas les questions de compétence ou du fond de l’affaire.

Pour preuve, voici deux arrêts de la Cour qui confirment mon interprétation des articles 228 et 230 et contredisent l’interprétation faite par Mr Bamwumva.

Dans l’affaire RCCB 174, arrêt du 22 août 2006, trois personnes morales (les ASBL OAG, FORSC et Ligue Iteka) demandent à la Cour de constater l’inconstitutionnalité de certaines ordonnances ministérielles. Dans son arrêt, la Cour dit clairement, sur la régularité de la saisine, que « les ordonnances visées sont des actes réglementaires et ne peuvent donc être attaqués en inconstitutionnalité par les personnes désignées par la disposition précédente [article 230, alinéa 2] parmi lesquelles figurent les actuels requérants ; qu’ainsi leur requête est irrecevable faute de qualité ».

Dans l’affaire RCCB 190, arrêt du 25 janvier 2007, une personne physique, Mr Léonard Nyangoma, demande à la Cour de déclarer non conforme à la Constitution la décision du Bureau de l’Assemblée Nationale portant constat de vacance de siège du député Nyangoma. Dans son arrêt, la Cour dit que « le requérant attaque une décision de l’Assemblée nationale, laquelle n’est pas une loi dans l’esprit du susdit article 230 dans son alinéa 2 ; que par conséquent la saisine est irrégulière ».

Je signale que ces arrêts de la Cour constitutionnelle sont disponibles sur le nouveau site web www.uantwerpen.be/burundi (Section ‘Constitution’, Chapitre ‘Cour Constitutionnelle’) qui est encore en construction mais qui sera lancé dans les semaines ou mois à venir.

En résumé, puisque la décision de la CENI qui consisterait à déclarer recevable la candidature de Pierre Nkurunziza n’est pas une loi au sens de l’article 230, alinéa 2 de la Constitution, la saisine par une personne lésée sera irrégulière et sa requête sera irrecevable. La Cour ne mettra donc pas en œuvre la limitation constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels prévue par l’article 96 de la Constitution.

2. Mr Bamwumva se met à la place de la CENI où il dit que « la CENI utilisera les instruments juridiques actuels, à savoir la Constitution et la loi électorale ». Comment peut-il être sûr que la CENI agira ainsi ? A-t-il des arguments juridiques qui appuient son affirmation ? Ou est-ce plutôt un souhait, comme il l’exprime dans sa phrase suivante où il dit que « la CENI ne devrait donc pas être aveugle » ? A notre avis, ce n’est que la CENI qui pourra trancher. Il serait utile si la CENI clarifie sa position sur son rôle, comme elle le fait d’ailleurs très souvent à travers des communiqués, des rencontres de presse, des ateliers, etcetera (voir www.ceniburundi.bi).

3. Mr Bamwumva croit lire dans ma réponse que je suis au courant d’une demande d’interprétation des articles 96 et 302 de la Constitution aurait été initiée devant la Cour constitutionnelle. Je ne le dis nulle part et je n’en suis pas du tout au courant. J’ai simplement réitéré l’existence de la possibilité d’une telle procédure (et j’ai expliqué qui peut en faire usage).

4. Je n’ai, effectivement, pas démenti le titre de l’analyse faite par Elyse Ngabire dans le dernier numéro d’IWACU (du 27 juin 2014). Le titre de l’article ne se trouve pas entre guillemets - ni à la page de couverture ni à la page 5 – et ne constitue donc pas une citation, mais une conclusion tirée par Mme Ngabire. Pourquoi devrais-je démentir une affirmation d’autrui ?

En résumé, je ne dis nulle part que la Constitution et l’Accord d’Arusha sont muets sur la limitation du nombre de mandats présidentiels. Bien au contraire, dans mon working paper 2012.03, j’analyse en détail ce que stipulent ces textes fondamentaux. Mais je constate qu’au niveau de leur mise en application, il peut se poser un problème majeur, une lacune que j’ai résumée en utilisant l’image d’une ‘coquille vide’.

En ce qui me concerne, je termine notre conversation électronique ici. Si vous existez réellement et pas seulement dans le monde virtuel de l’internet, je vous invite à continuer notre débat autour d’une bière.

Bien à vous,

Stef Vandeginste