@rib News, 26/05/2015 – Source AFP Au loin sur la route, un groupe de jeunes approche, brandissant gourdins et fouets de caoutchouc. "Les Imbonerakure!", affirme, entre crainte et colère, un jeune de Kinama, quartier de Bujumbura acquis aux FNL, un parti d'opposition au président Pierre Nkurunziza. Les Imbonerakure - littéralement "ceux qui voient loin" - sont les membres de la Ligue de jeunesse du parti présidentiel CNDD-FDD. Les opposants à la candidature du président Nkurunziza à un troisième mandat les accusent de multiplier intimidations et agressions, voire de prêter main-forte à la police dans la répression des manifestations qui agitent Bujumbura et certaines localités de province depuis fin avril.
L'ONU les a publiquement décrits comme une "milice" exécutant "en toute impunité" les basses oeuvres du parti au pouvoir, qui nie, les qualifiant de simples militants. Les autorités burundaises démentent également les avoir entraînés militairement et armés, comme l'affirme une note confidentielle de l'ONU. Quand le groupe approche, Kinama est en ébullition: les présumés "Imbonerakure" avaient déjà fondu sur le quartier quelques heures plus tôt, détruisant quelques barricades et coursant des manifestants qui ont vainement tenté de résister par des jets de pierres. Dans la cour d'une maison, les vitres d'un taxi sont brisées. "Ils ont aussi volé de la nourriture préparée pour les manifestants", raconte un jeune habitant. Un de ses camarades affirme avoir vu quatre blessés. Le chef du quartier a également été agressé. "Nous avons peur. Ce matin, je suis tombé sur le groupe (d'Imbonerakure supposés), ils m'ont attaqué et je me suis enfui. Dès qu'on est jeune, ils pensent qu'on est un manifestant et ils te font la chasse", s'indigne Jackson, chauffeur de 25 ans. - 'Quittez le quartier!' - A un carrefour, devant l'église de Pentecôte, quelques jeunes étrangers au quartier, sans armes, près de policiers, sont apostrophés: "Quittez le quartier!", intiment des jeunes de Kinama. "On marche où on veut!", répondent les autres, visiblement hostiles. Un policier invite les habitants à se disperser. "On ne veut pas de jeunes étrangers au quartier. C'est pour notre sécurité. S'ils ne partent pas, on reste", rétorque un homme d'âge mûr. Un cri : "Ils reviennent!". Difficile de dire avec certitude si les jeunes nervis sont des "Imbonerakure": vêtus de jeans et de tee-shirts, impossible de les différencier des jeunes manifestants. Deux choses sont sûres: ils en ont clairement après les manifestants, et la police, prompte à disperser - parfois brutalement - tout rassemblement, laisse passer ce cortège pourtant clairement décidé à en découdre. Le groupe charge en courant, bâtons en l'air. Les jeunes de Kinama refluent dans les ruelles, paniqués. Les policiers n'interviennent pas. Un assaillant réfute être un Imbonerakure, mais admet faire la chasse aux manifestants. "Qui sont-ils pour bloquer les quartiers, nous empêcher d'aller au boulot, empêcher les petits d'aller à l'école?", s'énerve-t-il. "Ce sont des Imbonerakure", assure en revanche un jeune de Kinama. "Certains sont d'ici, mais la plupart viennent de Kamenge", le quartier voisin, fief du CNDD-FDD. Kinama et Kamenge, quartiers populaires de la périphérie nord de Bujumbura, sont des anciens bastions de la rébellion hutu pendant la guerre civile (1993-2006). Kamenge est acquis au parti présidentiel, Kinama est un fief des FNL de l'opposant Agathon Rwasa. "Ce n'est pas la première fois qu'ils descendent dans le quartier avec leurs fouets et leurs gros bâtons", explique Claude, 25 ans. Finalement, ce sont des militaires - depuis le début de la crise, ils s'interposent souvent entre policiers et manifestants pour éviter les dérapages - qui font rapidement ressortir les contre-manifestants des ruelles et les ramènent sur l'avenue principale. Un contre-manifestant, sûr de lui, agite un long bâton sous le nez d'un officier, qui s'en empare et le fait tournoyer au-dessus de sa tête. L'excité et ses camarades préfèrent s'éloigner, donnant du coeur et des envies de revanche aux jeunes de Kinama. Mais la police veille. Trois grenades lacrymogènes explosent rapidement, faisant refluer les jeunes vers Kinama tandis que les présumés Imbonerakure remontent vers Kamenge. Quand on demande à un chef des policiers présents pourquoi il laisse passer un groupe et arrose l'autre de lacrymogènes, la seule réponse est un regard noir. |