Les Échos, 09/06/2015 Burundi : ce qu'il faut savoir de la situation d’un pays dans la tourmente Le pays se déchire depuis plus d’un mois sur la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat. Le 26 avril dernier, le président du Burundi Pierre Nkurunziza se déclarait candidat pour un troisième mandat à la tête du pays. Contraire à la Constitution, qui impose un départ du pouvoir après deux mandats consécutifs, cette déclaration a déclenché un mouvement de contestation émaillé de violences qui ont déjà fait une quarantaine de morts et poussé près de 100.000 Burundais à fuir vers les pays voisins. Une tentative de coup d’Etat avortée n’a fait qu’accroître les tensions.
Aujourd'hui, malgré l'opposition forte de la société civile, Pierre Nkurunziza continue de vouloir se présenter pour les présidentielles, prévues le 15 juillet prochain. Dans une situation que l'ONU qualifie d'« extrêmement tendue », tout peut basculer à tout moment. Voici les positions des différents camps. La société civile demande à Pierre Nkurunziza de renoncer à se présenter L’opposition et la société civile, en pointe dans la contestation, ont posé mardi des conditions précises pour des élections présidentielles apaisées. Premièrement, ils réclament la mise en place d’une nouvelle Commission électorale nationale indépendante (Céni), selon eux illégitime depuis la démission et la fuite à l’étranger de deux de ses cinq membres. Ils critiquent notamment le calendrier des élections, qui est selon eux « précipité ». Ils demandent également à Pierre Nkurunziza d’abandonner sa volonté de briguer un nouveau mandat, à l’origine de la crise qui touche le Burundi depuis fin avril. De plus, les opposants s’inquiètent des Imbonerakure, les membres de la ligue de jeunesse du parti au pouvoir. Ils veulent les désarmer. Les Imbonerakure sont qualifiées de « milices » par l’ONU. « On ne peut pas organiser des élections aujourd’hui si on ne s’assoit pas ensemble pour négocier la mise en place d’une nouvelle Céni, si on ne se met pas ensemble pour négocier les conditions politico-sécuritaires de la tenue des élections, si on ne désarme pas les Imbonerakure, si Nkurunziza ne renonce pas à son troisième mandat », a affirmé Charles Nditidje, un dirigeant de l’opposition. « Si les choses restent en l’état, nous considérons que ça sera une mascarade, une parodie d’élections et l’opposition n’y répondra pas », a-t-il ajouté. Lundi soir, le ministre de l’Intérieur Edouard Nduwimana a affirmé que la « Commission nationale en charge du désarmement » avait été chargée de « récupérer toutes les armes dans les deux semaines », auprès des groupes de jeunes affiliés aux partis, tâche que nombre d’observateurs jugent difficilement réalisable. Pierre Nkurunziza maintient sa candidature Le gouvernement a tenu à répondre très rapidement aux exigences des opposants. Quelques heures après la déclaration de l’opposition, le porte-parole et secrétaire général du gouvernement burundais Philippe Nzobonariba a déclaré qu’il n’était pas question de toucher à la candidature du président actuel, ni à la composition de la commission électorale. « La candidature du président Nkurunziza, (...) le respect et l’indépendance des institutions prévues par la Constitution sont intouchables (...)Cette décision est non négociable », a-t-il affirmé. Le gouvernement a également maintenu avec fermeté le calendrier des élections. Celui est « définitif », selon les mots de Philippe Nzobonariba. « Il n’y aura pas d’énième report des élections. Ce calendrier, c’est la limite maximale sans qu’on tombe dans l’inconstitutionnalité », a-t-il déclaré, rappelant que le président élu devait constitutionnellement prêter serment au plus tard le 26 août. Le porte-parole a néanmoins rappelé que le calendrier n’était pas encore adopté officiellement. L’ONU parle d’un risque de basculement L’organisation internationale, dont le médiateur est contesté par l’opposition, s’inquiète d’un potentiel basculement de la situation. « Nous avons aussi recueilli des témoignages inquiétants de réfugiés burundais ayant fui dans les pays voisins, portant sur des violations graves des droits de l’Homme qui auraient été commises par une milice rattachée au mouvement pro-gouvernemental connu sous le nom d’Imbonerakure », a déclaré mardi Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme. Ces violations « présumées », incluent pour Zeid Ra’ad Al Hussein « des exécutions sommaires, des enlèvements, des tortures, des coups, des menaces de morts et d’autres formes d’intimidation ». De plus, « des témoignages concordants indiquent que les membres des Imbonerakure agissent en suivant les instructions du parti au pouvoir et avec le soutien de la police nationale et des services de renseignement, qui leur fournissent des armes, des véhicules et parfois des uniformes », a-t-il dit. La communauté internationale estime que le climat actuel ne permet pas d’organiser des élections crédibles et un sommet des chefs d’Etat d’Afrique de l’Est à Dar es Salaam , en Tanzanie, a réclamé le 31 mai le report des scrutins d’au moins un mois et demi, l’arrêt des violences et le « désarmement urgent des mouvements de jeunesse armés ». Selon le Haut Commissaire de l’ONU, le Burundi ne doit pas se retrouver « catapulté dans une guerre civile du fait de la détermination impitoyable d’un petit nombre de personnes à garder ou prendre le pouvoir à tout prix ». ETIENNE COMBIER |