Le Soir, 21 juin 2015 Le Rwanda à son tour s’engage en direction d’un troisième mandat présidentiel Le carnet de Colette Braeckman Quelle surprise ! Voici plusieurs mois déjà, le président Kagame, homme fort du Rwanda depuis 1994 et déjà élu deux fois, avait déclaré qu’il appartiendrait au peuple de décider de le reconduire pour un troisième mandat. Le «peuple » s’est donc prononcé et 3,6 millions de Rwandais, soit plus de la moitié du corps électoral, ont adressé des pétitions au Parlement, demandant aux élus de réformer l’article 101 de la Constitution qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels.
Lors d’un congrès qui s’est tenu le week end dernier, le Front patriotique rwandais s’est prononcé à son tour en faveur d’une réforme de la constitution et son président, Christophe Bazimavo, a déclaré que les signataires des pétitions « ont cet espoir bien fondé que, si le président continue, il ne va rien changer mais plutôt continuer ce développement socio-économique, cette sécurité qui est observée ici et là, cette bonne gouvernance… » S’il est exact que de nombreux citoyens rwandais créditent le président Kagame pour la sécurité et la stabilité qu’il a réussi à instaurer dans son pays et reconnaissent les progrès accomplis (le Rwanda est l’un des seuls pays d’Afrique à pouvoir se vanter d’avoir atteint les « buts du millénaire » en matière de santé, d’éducation, de promotion des femmes) de nombreux observateurs décèlent cependant la main du parti derrière ces pétitions massives. Dans un pays aussi contrôlé que le Rwanda, beaucoup mettent en cause la spontanéité des pétitions et font état de pressions directes ou indirectes exercées par les autorités locales. Rappelons que dans les deux pays voisins, la République démocratique du Congo et le Burundi, la question du « troisième mandat » avait jeté les opposants dans la rue : en janvier dernier, la perspective d’un changement de la Constitution ouvrant la voie à une reconduction du président Kabila avait enflammé plusieurs villes congolaises. Quant au Burundi, il traverse une crise grave qui a déjà fait 70 morts et la question des élections tient toujours le pays en haleine : le parti au pouvoir a accepté de reporter le scrutin présidentiel à juillet prochain et d’ouvrir un dialogue avec l’opposition mais il n’a rien cédé sur le fond, c’est à dire la candidature du président Nkurunziza à un troisième mandat non prévu par les accords de paix d’Arusha ni par la Constitution. En réalité, la situation toujours bloquée laisse redouter le pire : des rumeurs font état de la préparation d’une nouvelle rébellion, l’armée connaît des défections, des jeunes fuient en direction du Rwanda où se trouvent déjà de nombreux intellectuels et la répression se poursuit. Dans les cas de ces trois pays, il faut remarquer que les Etats Unis expriment avec autant de rigueur que d’équanimité la nouvelle doctrine du président Obama :« des institutions fortes mais pas d’hommes forts ». En janvier dernier John Kerry s’était prononcé contre un troisième mandat pour Kabila, en mai Washington avait adopté une position en pointe désapprouvant la candidature du président Nkurunziza et même dans le cas du Rwanda, souvent considéré comme l’un des meilleurs alliés des Etats Unis dans la région, la position a été sans équivoque. Rodney Ford, le porte parole du Département d’ Etat, a déclaré « nous sommes engagés à soutenir une transition pacifique et démocratique en 2017 afin qu’un nouveau président soit élu par le peuple rwandais » ajoutant, comme pour dissiper toute équivoque : « nous ne sommes pas pour le changement des constitutions pour des intérêts personnels ou politiques. »… Cette intransigeance américaine est d’autant plus remarquable qu’elle est relativement neuve : il n’y a pas si longtemps que les Etats Unis se montraient très tolérants à propos de la longévité politique de leurs meilleurs alliés et tout le monde a oublié que le président Roosevelt lui-même, en 1940, à la veille de la deuxième guerre mondiale, a été considéré par le parti démocrate comme le meilleur candidat possible, car il avait été l’artisan du New Deal, qui avait permis à son pays de sortir de la crise de 1929.. Il accomplit donc un troisième mandat, qui fut reconduit en 44 et interrompu par sa mort …Autres temps, autres principes… |