Reproduction intégrale du discours prononcé par le prince Louis Rwagasore, le 19 septembre 1961, au lendemain de la victoire de son parti, l’UPRONA, aux élections législatives du 18 septembre 1961 Mes chers compatriotes, J’ai l’honneur et le plaisir de m’adresser à vous en ce moment décisif. Le peuple murundi vient de choisir ses dirigeants nationaux et de se prononcer sur son avenir dans un climat de calme et de paix qui l’honorent. Dans toute compétition, fut-elle politique, il y a un gagnant et un perdant, et l’UPRONA, de par votre libre volonté est sorti vainqueur des élections législatives et formera demain le premier Gouvernement du Burundi autonome.
Mais le vainqueur et le perdant sont tous des Barundi, membres de la même famille nationale, enfants d’un même Mwami. Le Burundi a besoin de tous, à quelques partis politiques qu’ils appartiennent. C’est pourquoi, mes chers compatriotes, la victoire électorale d’aujourd’hui n’est pas celle d’un parti mais le triomphe de l’ordre, de la discipline, de la paix, de la tranquillité publique. Car sans autorité forte, aucun pays ne connaît l’ordre, la paix, la tranquillité. Sans autorité forte, point de progrès. C’est aussi le triomphe de la démocratie telle que le peuple murundi la comprend et la veut, c’est-à-dire la véritable justice sociale plutôt que des formes extérieures d’une démocratie de surface. L’heure est arrivée de se pencher sur les véritables problèmes de la nation : problèmes économiques surtout, problèmes de la terre et de l’émancipation sociale du petit peuple, problèmes de l’enseignement et tant d’autres, auxquels nous cherchons et trouverons des solutions qui nous sont propres. Il faut surtout que les habitants du Burundi se sentent en paix et en sécurité, que personne ne se croit menacé et que chacun ait confiance dans la protection du Gouvernement. C’est pourquoi ce Gouvernement qui sera formé bientôt aura comme premier devoir de sévir sévèrement contre tout fauteur des troubles, les irresponsables quels qu’ils soient. J’exhorte surtout plus spécialement les partisans et amis de l’UPRONA à se montrer dignes de la victoire du Parti. Les militants actifs doivent agrandir le cercle de nos amis, tendre loyalement et cordialement la main aux adversaires d’hier et non étaler de l’orgueil ou de l’insolence. Le Comité National de l’UPRONA sera sans pitié pour ceux de ses partisans qui ne respectent pas ce mot d’ordre impératif de courtoisie, de tolérance et de respect d’autrui, car le Parti ne tolérera pas que le prestige, l’honneur et l’avenir de la Patrie soient compromis par des paroles ou des gestes irréfléchis de quelques exaltés. La campagne électorale est terminée, le passé doit être oublié et il ne faut plus penser qu’à l’avenir qui est prometteur si nous voulons et si nous agissons en conséquence. Par conséquent, les hommes qui permettront de décourager ou importuner les étrangers ou les adversaires politiques, sous prétexte de la victoire du Parti Nationaliste seront considérés comme des ennemis de la Patrie et seront punis de manière exemplaire. Aux voleurs, agresseurs et bandits de toute espèce, nous annonçons une répression énergique et impitoyable, un châtiment dont ils se souviendront. Le peuple murundi vient de faire son choix et nous n’avons pas le droit de le décevoir en exerçant le pouvoir qu’il nous a délégué pour assouvir nos rancoeurs ou notre orgueil. Nous lui devons au contraire, de nous servir de ce pouvoir pour rassurer tous les hommes, augmenter le nombre de nos amis et apaiser les querelles entre Barundi. Il appartient aux partisans de l’UPRONA, les plus importants davantage encore que les plus humbles, de donner l’exemple de cette volonté de concorde, de patience et de tolérance. Nous avons fait notre politique en acceptant toutes les conséquences qui en découlent, mais c’est pour servir le pays et le peuple ; le Parti ne permettra pas que personne fasse dévier notre idéal et notre but. A cette heure de la victoire du Parti, fût-il le mien, je ne suis pas grisé par le succès, car pour moi et mes amis, la véritable victoire ne sera atteinte qu’après l’accomplissement d’une tâche difficile mais exaltante ; un Burundi paisible, heureux et prospère. Nous ouvrons nos bras à tous ceux qui veulent collaborer avec franchise et bonne foi. Nous sommes des hommes d’honneur, des hommes réfléchis et calmes et nous voulons donner au peuple ce qu’il lui a été promis. Au peuple belge, j’ai l’honneur d’adresser un message de gratitude, la responsabilité que, vous belges, vous portiez, vous allez bientôt la transférer sur nos épaules et nous sommes conscients de nos devoirs. Nous vous demandons de nous aider à entreprendre l’avenir avec confiance, de continuer à nous aider avec générosité, à nous guider dans le respect de notre dignité, de nos intérêts et de notre propre conception de l’intérêt national. Nous sommes devenus des enfants libres et adultes mais nous suivrons la tradition de notre peuple qui veut que les enfants restent respectueux et témoignent leur affection. Vous nous jugerez à nos actes et votre satisfaction sera notre fierté. Que Dieu nous aide et nous éclaire et que notre Mwami bien aimé en reste longtemps encore le sage garant, le père de la Nation. Vive le Burundi. |