Le prince Louis, ses proches et son pays Par Nils Gasarara - Correspondance particulière - @rib News, 13/10/2008 Le meurtre, de coups de fusil de chasse, le 13 octobre 1961 à Bujumbura, au soir, sur les bords du lac Tanganyika, du prince Louis Rwagasore, Premier ministre et fils aîné du roi Mwambutsa IV Bangiricenge, marqua le prélude à une durable et diabolique entreprise de déstabilisation de la famille royale, des Tutsi de l’opposition (ou pris comme tels) et des Hutu. De tout un pays, en somme… Primo, à cette heure et quoi qu’on dise, cette immense tragédie à la grecque, quels qu’en soient les auteurs ou les acteurs, n’est pas prête d’écrire son dernier acte. Une situation franchement dégueulasse, comme dirait l’autre. A coups d’assassinats savamment orchestrés, les « ennemis de la nation », tout aussi impunis, ont durablement démantelé l’harmonie d’une nation séculaire connue depuis Claude Ptolémée.
Ce plan macabre a atteint, plus de vingt ans avant le 21 octobre 1993, son paroxysme lorsque l’ex-roi Ntare V (ou Charles Ndizeye, jeune et demi-frère du prince Louis), fut faussement accusé par le régime sanguinaire de Michel Micombero de tentative d’envahissement du Burundi, à la tête de mercenaires étrangers, de hordes Maï-Maï (venues de l’Est de l’ex-Zaïre, encore et toujours en ébullition) et de rebelles Hutu. Même Balthazar Barandagiye, en qui Louis Rwagasore avait placé toute sa confiance en le nommant dans son équipe, liquida, en 1972, nombre de Hutu dans sa région, près de Rushubi. Durant « la peste » de 1972 et après, sur les collines qui surplombent la capitale, dans ce qui porte le bizarroïde nom de « Bujumbura rural », Léopold Ngaruko, administrateur communal et ancien proche du prince Louis, eut un comportement de « juste », digne d’éloges. Le pouvoir du jeune dictateur Jean-Baptiste Bagaza le lui fit cher payer, dès novembre 1976. A Buhonga, de jeunes upronistes Hutu dont l’avenir s’annonçait très prometteur, parmi lesquels les Mukiga et les Kanonko, célébraient, avec leur fameux orchestre, dans les années soixante, le prince Louis : « Rwaruka rwa Prince Rwagasore, rwaruka rwa Prince Louis, dusab’Iman’idukingire… » ! Plus uproniste qu’eux, l’on serait mort ! Après 1972, il n’en resta aucun de vivant ! Mais ceci est une tout autre histoire !... Il faudrait que cesse, chaque 13 octobre de l’année, l’instrumentalisation par les dirigeants, depuis novembre 1966 jusqu’à ce jour, de l’image de marque et du nom du héros national, aux fins d’occulter la honte de tout un peuple. Car, sauf erreur, le « cas Ntare V » et l’hécatombe de 1972, demeurés impunis depuis, sont une première dans l’histoire des peuples dits civilisés. Cette année-là, c’en était fini avec les « compagnons » du prince Louis. Secundo, L’Aube de la Démocratie, sous la plume du directeur de publication, Pie Ndagiyé (numéro 55 du 12 juillet 1996, page douze), pose la question et donne la réponse. « Que sont devenus les héros de l’indépendance ? Presque tous ont connu une fin misérable ou dramatique. Tombés dans l’oubli, pour les uns, emprisonnés, assassinés ou fusillés sans procès ou après un semblant de procès pour les autres, la classe politique qui a mené le Burundi à l’indépendance a connu une fin misérable, voire dramatique. Les plus chanceux s’en sont tirés en devenant des hommes d’affaires plus ou moins prospères, mais on ne peut pas dire que la patrie a su récompenser ses fils qui se sont donnés corps et âme pour que le pays soit gouverné par les Barundis… Après avoir connu les persécutions et la prison avant l’indépendance, ils ont connu les persécutions, la prison après l’indépendance, quand ils n’étaient pas purement et simplement assassinés ou fusillés. Ils ont été remplacés par une classe de gens qui avaient combattu l’indépendance ou par des personnalités qui n’étaient pas aux affaires à ce moment là. Ce sont ces personnes qui ont instauré la dictature, le règne à coup de génocides, de mensonges, de pillages du pays. Ce sont les mêmes qui ont refusé le résultat des urnes en octobre 1993. Ce pourrait être un acte d’une vaste tragédie intitulée : « L’indépendance volée ». Selon cette source, ces héros de l’indépendance ou proches collaborateurs du prince Louis, sont, dans le désordre et l’ordre croissant de leur triste sort, les suivants. Assassinés ou fusillés sans procès : les Hutu Pierre Ngendandumwe, Paul Mirerekano, Joseph Bamina, André Baredetse, Mathieu Muhakwanke, Bernard Nirikana, J.-B. Kayabo, Pascal Bankanuriye, Marc Barumpozako, Emile Benyaguje, Ferdinand Bitariho, Pascal Bubiriza, Côme Bucumi, Emile Bucumi, Zacharie Kagura, Ignace Ndimanya et le Tutsi Pierre Ngunzu (exécuté par erreur ; on l’a pris pour un Hutu). Les Tutsi Marc Manirakiza, Antoine Basita et Joseph Mbazumutima ont connu la prison (et la torture), puis ont été oubliés par le pouvoir à leur libération ; Lorgio Nimubona est décédé de mort naturelle ; Thaddée Siryuyumusi, André Nugu, Jean Simbavimbere, Gaspard Nkeshimana, Valentin Bankumuhari, Tite Sindabokoka et Antoine Ntagwarara ont sombré dans l’oubli ; Boniface Kiraranganya vit en exil au Canada ; Ildéphonse Ntamikevyo (Hutu ?), Balthazar Barandagiye, Raphaël Hajayandi, Albin Nyamoya (deux fois Premier ministre), Léon Ndenzako, Léopold Ngaruko et Jean Ntiruhwama ont connu une mort naturelle; Salvator Ndikumagenge, Félix Katikati et Zénon Nicayenzi se sont convertis en affaires… Commémorer toutes les victimes Tertio, le prince Louis mort, ses deux enfants ont disparu dans des circonstances (« médicales ») jamais élucidées. Sa jeune et si belle veuve connaîtra le dénouement et même, semble-t-il, le déshonneur, imposés. Le corps sans vie de l’oncle du prince Louis, le prince Ignace Kamatari, fut mystérieusement retrouvé, en 1965, au lieu dit Sororezo, dans les environs de Kiriri. La thèse officielle d’une vie privée agitée prête à confusion. En 1972, l’ex-roi Ntare fut exécuté par le régime sanguinaire de Michel Micombero. Jusqu’à ce jour, ses restes ont été abandonnés dans la brousse, à Gitega, au centre du pays (où il avait été conduit manu militari et détenu), connaissant par là un sort inférieur à celui d’un vulgaire chien. Le roi Mwambutsa V est décédé de dépit, en 1976, en exil à Genève, après avoir perdu, dans les conditions que l’on sait, ses deux fils qu’il chérissait tant. Il repose au cimetière de Meyrin. Sa tombe est généreusement entretenue par des Burundais de coeur et leurs amis. Selon les dirigeants successifs, le rapatriement officiel et avec les honneurs dus à son rang, à Bujumbura, de sa dépouille, n’est pas une priorité. Pourtant, réhabiliter ces deux chefs d’Etat, Mwambutsa IV et Ntare V, rapprocherait les Burundais et les conduirait indubitablement à aller de l’avant autour d’une valeur héritage de nos pères et commune à l’humanité entière : le respect aux morts, prélude à la réconciliation. Les dirigeants le savent, mais préfèrent la politique de l’autruche. C’est connu : les promesses n’engageraient que ceux qui y croient ; d’où les Burundais se sont subitement convertis en Saint-Thomas… Quarto, que dire en guise de conclusion provisoire ? Célébrer la mémoire du prince Louis implique le droit de la jeunesse burundaise de savoir. L’histoire immédiate doit être enseignée dans les écoles ; c’est le travail des gouvernants, leur devoir. Connaître l’histoire du roi Mwezi Gisabo, c’est bien ! Mais comment taire celle du roi Ntare V, ou celle où le pays vécut courbé sous la botte du fossoyeur de la monarchie, le capitaine (général) Michel Micombero ? Quant aux diverses difficultés liées à l’élaboration d’un manuel d’histoire (contemporaine ou immédiate) du Burundi, l’Unesco est fin prête à contribuer à les surmonter, en collaboration avec d’universitaires burundais et étrangers. Du reste, ces dernières années, le professeur belge Filip Reyntjens affirme sans ambages que lorsque Jean-Pierre Chrétien (France) et lui accordent leurs violons quant à l’histoire tumultueuse du Burundi (sur « 72 » en particulier), les Hutu et les Tutsi de ce pays devraient être capables d’en faire autant… Le climat s’y prête-t-il ? Pour Bujumbura, avec tant de régimes et de gouvernements depuis l’indépendance (1962), il est urgent de ne pas agir ! D’ici peu, entre le 13 et le 21 octobre 2008, le 19 octobre prochain en l’occurrence, qui mettra les drapeaux en berne en hommage aux victimes (toutes) de la folie meurtrière de 1965 ? Lorsque, à l’heure du partage bassement matériel des postes en vue, dans les institutions, l’armée, la haute administration et ses annexes, d’anciens rebelles Hutu exigent à d’ex-rebelles Hutu de changer de dénomination, l’on y perd son latin. Dieu ne reconnaîtra que les siens ! Dans tous les cas, l’histoire du Burundi post colonial nous enseigne que « les hommes aiment à changer de maîtres, espérant chaque fois trouver mieux. Cette croyance leur fait prendre les armes contre le seigneur du moment, en quoi ils font souvent un mauvais calcul, s’apercevant ensuite qu’ils ont changé un cheval borgne contre un aveugle ». (Machiavel, Le Prince, chap. 3) |