Reporters sans frontières, 3 mai 2013 Dans la tête de... Rwanda - Paul Kagamé, président de la République “Les mauvaises langues disent de moi que ma silhouette tout en longueur, mes petites lunettes d’intellectuel et mes costumes soignés me confèrent le physique lisse d’un homme politique moderne mais ne sauraient cacher l’ancien chef de guerre que j’ai été. Certes, je garde du maquis brutalité et froideur. Et alors? Suite au génocide de 1994, le processus de réconciliation enclenché par l’Etat sous mon impulsion me sert à asseoir mon pouvoir et à neutraliser l’opposition. Et alors? De toute façon, ni les médias, ni les Nations Unies, ni les groupes de défense des droits de l’Homme n’ont l’autorité morale pour me critiquer. Les groupes de défense des droits de l’Homme? Je suis certain qu’ils ne savent même pas placer le Rwanda sur une carte.
Et les médias. Ah, les médias. Ceux qui osent me critiquer sont semblables à “Radio Mille Collines”, cette radio raciste qui contribua à échauffer les esprits avant et pendant le génocide. Me critiquer moi, qui suis Tutsi, revient à nier le génocide. Les prétendus journalistes rwandais qui, par dizaines, jugent le climat irrespirable et fuient le pays sont des mercenaires et des clochards. Je le prétends et fais en sorte de n’être pas contredit outre-mesure. En conférence de presse, quiconque souhaite me poser une question est le bienvenu pourvu qu’elle ne soit pas embarrassante. Le ministère de l’Information et le Haut Conseil des médias veillent à la qualité de mon sommeil. Ils savent parfaitement utiliser le délit d’”offense à la personne du président de la République”. Début 2011, deux femmes journalistes, Agnès Uwimana Nkusi et Saidat Mukakibibi, ont été condamnées à 17 et sept ans de prison. Ces deux insolentes avaient osé me critiquer ! Un an plus tard, nous avons eu l’extrême clémence de réduire leurs peines à quatre et trois ans. Ça ne mange pas de pain. Et Jean-Léonard Rugambage? Lui, son compte est bon. En juin 2010, le corps du rédacteur en chef adjoint de ce torchon d’Umuvugizi a été retrouvé assassiné, dans sa voiture, devant son domicile de Kigali. Il paraît qu’il enquêtait sur les services secrets et leur tentative de meurtre contre un général en exil en Afrique du Sud. Son enquête a visiblement tourné court...” |